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Actes et Paroles - Victor Hugo


" La patrie a cela de poignant qu'en sortir est triste, et qu'y rentrer est quelquefois plus triste encore. Quel proscrit romain n'eût mieux aimé mourir comme Brutus que voir l'invasion d'Attila? Quel proscrit français n'eût préféré l'exil éternel à l'effondrement de la France sous la Prusse, et à l'arrachement de Metz et de Strasbourg?


Revenir dans son foyer natal le jour des catastrophes; être ramené par des événements qui vous indignent; avoir longtemps appelé la patrie dans sa nostalgie et se sentir insulté par la complaisance du destin qui vous exauce en vous humiliant;


C'est l'arrivée des barbares; eh bien, il y a une autre attaque non moins funeste, c'est l'arrivée des ténèbres.


Si quelque chose est plus lugubre que le piétinement de nos sillons par les talons de la landwehr. L'une menace notre mère, la patrie; l'autre menace notre enfant, l'avenir. Deux inviolabilités sont les deux plus précieux biens d'un peuple civilisé, l'inviolabilité du territoire et l'inviolabilité de la conscience. Le soldat viole l'une, le prêtre viole l'autre. Il faut rendre justice à tout, même au mal; le soldat croit bien faire, il obéit à sa consigne; le prêtre croit bien faire, il obéit à son dogme; les chefs seuls sont responsables. Il n'y a que deux coupables, César et Pierre; César qui tue, Pierre qui ment. Le prêtre peut être de bonne foi; il croit avoir une vérité à lui, différente de la vérité universelle. Chaque religion a sa vérité, distincte de la vérité d'à côté. Cette vérité ne sort pas de la nature, entachée de panthéisme aux yeux des prêtres; elle sort d'un livre. Ce livre varie. La vérité qui sort du talmud est hostile à la vérité qui sort du koran. Le rabbin croit autrement qu'en le marabout, le fakir contemple un paradis que n'aperçoit pas le caloyer, et le Dieu visible au capucin est invisible au derviche. On me dira que le derviche en voit un autre; je l'accorde, et j'ajoute que c'est le même; Jupiter, c'est Jovis, qui est Jova, qui est Jéhovah; ce qui n'empêche pas Jupiter de foudroyer Jéhovah, et Jéhovah de damner Jupiter; Fô excommunie Brahma, et Brahmâ anathématise Allah; tous les dieux se revomissent les uns les autres; toute religion dément la religion d'en face; les clergés flottent dans tout cela, se haïssant, tous convaincus, à peu près; il faut les plaindre et leur conseiller la fraternité. Leur pugilat est pardonnable. On croit ce qu'on peut. Le droit au fanatisme existe. Toutes les religions ont ce but: prendre de force l'âme humaine. C'est à cette tentative de viol que la France est livrée aujourd'hui. Essai de fécondation qui est une souillure. Faire à la France un faux avenir; quoi de plus terrible?



L'intelligence nationale en péril, telle est la situation actuelle.


L'enseignement des mosquées, des synagogues et des presbytères, est le même; il a l'identité de l'affirmation dans la chimère; il substitue le dogme, cet empirique, à la conscience, cet avertisseur. Il fausse la notion divine innée; la candeur de la jeunesse est sans défense, il verse dans cette candeur l'imposture, et, si on le laisse faire, il en arrive à ce résultat de créer chez l'enfant une épouvantable bonne foi dans l'erreur.

Nous le répétons, le prêtre est ou peut être convaincu et sincère.

Doit-on le blâmer? non. Doit-on le combattre? oui.

Discutons, soit.

Il y a une éducation à faire, le clergé le croit du moins, l'éducation de la civilisation; le clergé nous la demande. 


Les hommes sont égaux au berceau. D' un certain point de vue intellectuel, il y a des exceptions, mais des exceptions qui confirment la règle. Hors de là, un enfant vaut un enfant. Ce qui, de tous ces enfants égaux, fait plus tard des hommes différents, c'est la nourriture. Il y a deux nourritures; la première, qui est bonne, c'est le lait de la mère; la deuxième, qui peut être mauvaise, c'est l'enseignement du maître. De là, la nécessité de surveiller cet enseignement.


On pourrait dire que dans notre siècle il y a deux écoles. Ces deux écoles condensent et résument en elles les deux courants contraires qui entraînent la civilisation en sens inverse, l'un vers l'avenir, l'autre vers le passé; la première de ces deux écoles s'appelle Paris, l'autre s'appelle Rome. Chacune de ces deux écoles a son livre; le livre de Paris, c'est la Déclaration des Droits de l'Homme; le livre de Rome, c'est le Syllabus. Ces deux livres donnent la réplique au Progrès. Le premier lui dit Oui; le second lui dit Non.

Le progrès, c'est le pas de Dieu.

Les révolutions, bien qu'elles aient parfois l'allure de l'ouragan, sont voulues d'en haut.


Paris vaincra Rome.

Toute la question humaine est aujourd'hui dans ces trois mots.


Rome ira décroissant et Paris ira grandissant.


Nous ne parlons pas ici des deux cités, qui sont toutes deux également augustes, mais des deux principes; Rome signifiant la foi et Paris la raison.


On peut dire de Paris qu'il a des vertus de chevalier; il est sans peur et sans reproche.

Sans peur, il le prouve devant l'ennemi; sans reproche, il le prouve devant l'histoire. Il a eu parfois la colère; est ce que le ciel n'a pas le vent? Comme les grands vents, les colères de Paris sont assainissantes. Après le 14 juillet, il n'y a plus de Bastille; après le 10 août, il n'y a plus de royauté. Orages justifiés par l'élargissement de l'azur.

De telles violences ne sont pas le fait de Paris. L'histoire constatera, par exemple, que ce qu'on reproche au 18 Mars n'est pas imputable au peuple de Paris; il y a là une sombre culpabilité partageable entre plusieurs hommes; et l'histoire aura à juger de quel côté a été la provocation, et de quelle nature a été la répression. Attendons la sentence de l'histoire.

En attendant, tous, qui que nous soyons, nous avons des obligations austères; ne les oublions pas.


Le catholicisme fait l'homme esclave, la philosophie le fait libre.

De là de plus grands devoirs.

Pour la philosophie, l'homme est un homme. L'éclairer c'est le délivrer. Le délivrer du faux, c'est l'assujettir au vrai.

Disons les vérités sévères.


​​Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. Être libre, rien n'est plus grave; la liberté est pesante, et toutes les chaînes qu'elle ôte au corps, elle les ajoute à la conscience; dans la conscience, le droit se retourne et devient devoir. Prenons garde à ce que nous faisons; nous vivons dans des temps exigeants. Nous répondons à la fois de ce qui fut et de ce qui sera. Nous avons derrière nous ce qu'ont fait nos pères et devant nous ce que feront nos enfants. Or à nos pères nous devons tenir compte de leur tradition et à nos enfants de leur itinéraire. Nous devons être les continuateurs résolus des uns et les guides prudents des autres. Il serait puéril de se dissimuler qu'un profond travail se fait dans les institutions humaines et que des transformations sociales se préparent.


Tâchons que ces transformations soient calmes et s'accomplissent, dans ce qu'on appelle (à tort, selon moi) le haut et le bas de la société, avec un fraternel sentiment d'acceptation réciproque. Remplaçons les commotions par les concessions. C'est ainsi que la civilisation avance. Le progrès n'est autre chose que la révolution faite à l'amiable. Donc, législateurs et citoyens, redoublons de sagesse, c'est-à-dire de bienveillance.


Guérissons les blessures, éteignons les animosités; en supprimant la haine nous supprimons la guerre; que pas une tempête ne soit de notre faute. Quatre Vingt Neuf a été une colère utile. Quatrevingt Treize a été une fureur nécessaire; mais il n'y a plus désormais ni utilité ni nécessité aux violences; toute accélération de circulation serait maintenant un trouble; ôtons aux fureurs et aux colères leur raison d'être; ne laissons couver aucun ferment terrible. C'est déjà bien assez d'entrer dans l'inconnu! Je suis de ceux qui espèrent dans cet inconnu, mais à la condition que nous y mêleront dès à présent toute la quantité de pacification dont nous disposons. Agissons avec la bonté virile des forts. Songeons à ce qui est fait et à ce qui reste à faire. Tâchons d'arriver en pente douce là où nous devons arriver; calmons les peuples par la paix, les hommes par la fraternité, les intérêts par l'équilibre. N'oublions jamais que nous sommes responsables de cette dernière moitié du dix neuvième siècle, et que nous sommes placés entre ce grand passé, la révolution de France, et ce grand avenir, la révolution d'Europe.


Paris, juillet 1876.


Qui dit éducation dit gouvernement; enseigner, c'est régner; le cerveau humain est une sorte de cire terrible qui prend l'empreinte du bien ou du mal selon qu'un idéal le touche ou qu'une griffe le saisit.

L'éducation par le clergé, c'est le gouvernement par le clergé. Ce genre de gouvernement est jugé. C'est lui qui sur la cime auguste de la glorieuse Espagne a mis cet effroyable autel de Moloch, le quemadero de Séville. C'est lui qui a superposé à la Rome romaine la Rome papale, monstrueux étouffement de Caton sous Borgia.


La dialectique a une double loi, voir de haut et serrer de près. Les gouvernements prêtres ne résistent à aucune de ces deux formes du raisonnement; de près, on voit leurs défauts; de haut, on voit leurs crimes.


La griffe est sur l'homme et la patte est sur l'enfant. 


Quel est mon devoir?

C'est le vôtre, c'est celui de tous.

Défendre Paris, garder Paris.

Sauver Paris, c'est plus que sauver la France, c'est sauver le monde.

Paris est le centre même de l'humanité. Paris est une ville sacrée.

Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain.

Paris est la capitale de la civilisation, qui n'est ni un royaume, ni un empire, et qui est le genre humain tout entier dans son passé et dans son avenir. Et savez vous pourquoi Paris est la ville de la civilisation? C'est parce que Paris est la ville de la révolution.

Qu'une telle ville, qu'un tel chef-lieu, qu'un tel foyer de lumière, qu'un tel centre des esprits, des cœurs et des âmes, qu'un tel cerveau de la pensée universelle puisse être violé, brisé, pris d'assaut, par qui? Par une invasion sauvage? cela ne se peut. Cela ne sera pas. Jamais, jamais, jamais!

Citoyens, Paris triomphera, parce qu'il représente l'idée humaine et parce qu'il représente l'instinct populaire.


Que tout homme soit Camille Desmoulins, que toute femme soit Théroigne, que tout adolescent soit Barra! Faites comme Bombonnel, le chasseur de panthères, qui, avec quinze hommes, tue vingt prussiens et fait trente prisonniers. Que les rues des villes dévorent l'ennemi, que la fenêtre s'ouvre furieuse, que le logis jette ses meubles, que le toit jette ses tuiles, que les vieilles mères indignes attestent leurs cheveux blancs. Que les tombeaux crient, que derrière toute muraille on sente le peuple et Dieu, qu'une flamme sorte partout de terre, que toute broussaille soit le buisson ardent! 


Ah! peuple! te voilà acculé dans l'antre. Déploie ta stature inattendue. Montre au monde le formidable prodige de ton réveil. Que le lion de 92 se dresse et se hérisse, et qu'on voie l'immense volée noire des vautours à deux têtes s'enfuir à la secousse de cette crinière!


Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des montagnes, la guerre des plaines, la guerre des bois. Levez-vous! levez-vous! Pas de trêve, pas de repos, pas de sommeil. Le despotisme attaque la liberté. Arrêtez Vous seulement, quand vous passerez devant une chaumière, pour baiser au front un petit enfant endormi. Car l'enfant c'est l'avenir. Car l'avenir c'est la république.

Faisons cela, français.


Français, vous combattez. Vous vous dévouez à la cause universelle, parce qu'il faut que la France soit grande afin que la terre soit affranchie; parce qu'il ne faut pas que tant de sang ait coulé et que tant d'ossements aient blanchi sans qu'il en sorte la liberté. 


Cette guerre, si épouvantable qu'elle soit, n'a encore été que petite.

Elle va devenir grande.

J'en suis fâché pour vous, prussiens, mais il va falloir changer votre façon de faire. Cela va être moins commode. Vous serez toujours deux ou trois contre un, je le sais; mais il faut aborder Paris de front. Plus de forêts, plus de broussailles, plus de ravins, plus de tactique tortueuse, plus de glissement dans l'obscurité. La stratégie des chats ne sert pas à grand-chose devant le lion. Plus de surprises. On va vous entendre venir. Vous aurez beau marcher doucement, la mort écoute. Elle a l'oreille fine, cette guetteuse terrible.


Le corps à corps commence. On va se colleter. Prenez votre parti. La victoire maintenant exigera un peu d'imprudence. Il faut renoncer à cette guerre d'invisibles, à cette guerre à distance, à cette guerre à cachecache, où vous nous tuez sans que nous ayons l'honneur de vous connaître.

Nous allons voir enfin la vraie bataille. L'imbécillité ne nous commande plus. Donc, guerre, et guerre fraîche, guerre loyale, guerre farouche. Nous vous la demandons et nous vous la promettons. Nous allons juger vos généraux. La glorieuse France grandit volontiers ses ennemis. Vous hésitez, cela se comprend. Sauter à la gorge de Paris est difficile. Notre collier est garni de pointes.


A cette heure, je ne dois parler au peuple qu'à travers l'Assemblée. Vous me demandez ma pensée sur la question de paix ou de guerre. Je ne puis agiter cette question ici. La prudence fait partie du dévouement. C'est la question même de l'Europe qui est pendante en ce moment. La destinée de l'Europe adhère à la destinée de la France. Une redoutable alternative est devant nous, la guerre désespérée ou la paix plus désespérée encore. Ce grand choix, le désespoir avec la gloire ou le désespoir avec la honte, ce choix terrible ne peut se faire que du haut de la tribune. Je le ferai. Je ne manquerai, certes, pas au devoir. Mais ne me demandez pas de m'expliquer ici. Une parole de trop serait grave dans la place publique. Permettez-Moi de garder le silence. J'aime le peuple, il le sait. Je me tais, il le comprendra. "

Extraits du livre : Actes et Paroles - Volume 1 - Victor Hugo

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