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Cancer et entreprise - Chemin vers la parité


Le cancer est dans toutes les actualités. Et même si cela est un sujet de société, c’est par une double optique que je souhaiterais aborder le sujet : entreprise et société.

 

Comment parler « mot à mot » du cancer, de la maladie grave, potentiellement mortelle, de ma place à moi, économiste, juriste, sans faire violence aux personnes malades, ou qui l’ont été, inconnues de moi, comme à ceux que je côtoie dans ma pratique ?

 

Les mots du malade ne sont pas les miens, car ils sont marqués par ce qui leur arrive, chargés de silence. Ils sont sous le signe de la violence ou de la désaffectation, de la désespérance ou de la relance. Ils sont balbutiés, crachés, ruminés, déconstruits, triturés, torturés, reconstruits, réanimés. Et surtout, ils attendent l’entendeur… désespérément !

 

Alors, moi, c’est avec humilité et gravité que j’écris. Justement dans le but d’entendre d’un cri qui demande attention, insertion et action. Mon optique est stratégique et pratique, à partir de ce regard impliqué, qui est la seule façon pour moi de ne pas les trahir, en restant au plus près de l’humain en chacun de nous.

 

Le sujet « Cancer » est un sujet qui fait mal, car quand l’ont étendu le mot « cancer » on se heurte à un “cancer”, alors que parler de cancer demande de la pluralité, considérant que toutes les personnes atteintes de la maladie se confrontent à des problèmes avec leurs employeurs, avec leurs proches, au sein de leurs foyers et de leur cocon familiale avec un impact direct dans leur équilibre social. Le malade, lorsqu’il affirme avoir la maladie, se heurte à des “représentations du cancer” au-delà de la maladie en soi. Alors qu'au-delà de la pluralité des pathologies cancéreuses, il y a une uniformité, pas sur la maladie proprement dite, mais sur l’expérience vécue. Soit donc : peur, instabilité émotionnelle, remise en question du sens de la vie, le “pourquoi suis-je malade ?”

 

Le cancer est assez particulier dans la sociologie.

Ce sont des milliers d’études qui portent un regard minutieux sur le sujet. La société est constituée d’images : une sportive est une femme active, forte ; une cheffe d’entreprise est une femme au mental solide ; une actrice est une femme pétillante. La sociologie s’intéresse aux images liées au cancer, qui ne sont pas les mêmes que dans le passé, mais qui continuent, pourtant, à être celles de la mort, de la souffrance, de la gravité, de la douleur, du laid, de la transformation corporelle par la perte des cheveux et la mutilation. D’ailleurs, ce fut la stratégie utilisée sur les paquets de tabac.

 

Dans la sociohistorique du cancer, il est important de comprendre les compréhensions sociales de la maladie — au XIXe siècle le cancer était une maladie incurable — cette réalité se poursuit durant le XXe siècle. Ce n’est qu’à partir des années 60, 70 que l’État s’investit dans la lutte contre le cancer avec une communication plus importante et les investissements nécessaires pour la recherche. En 1970, nous avons la première loi sur le cancer — Américain Cancer Society — cela donne une impulsion positive. En France particulièrement, ce n’est qu’au tournant des années 2000 que le défi d’inclure le cancer dans les priorités politiques a émergé, grâce aux efforts soutenus de diverses associations.

 

Le premier plan cancer arrive en 2003. Ce plan considérera le caractère social du malade : le cadre économique, les classes sociales affectées, les inégalités sociales — ce qui permettra de mettre un cadre dans la lutte contre le cancer. Un champ de recherche, politique et pratique du sujet est mis en place. Toutefois, la croissance importante du taux de la maladie nous oblige à regarder le sujet avec attention. Notamment dans le cadre de l’entreprise.

 

Nous avons tous déjà été touchés de manière directe ou indirecte par la maladie. Si nous ne le sommes pas, nous le serons. Les récentes études démontrent une augmentation du taux de cancer de 77 % d’ici à 2050. Ce qui donne à ce sujet une importance socio-économique majeure. Particulièrement concernant la gestion de la maladie au sein de l’entreprise.

 

Cette croissance des chiffres est expliquée à la fois par le vieillissement et la croissance de la population, ainsi que par l’évolution de l’exposition des individus aux facteurs de risque : le tabac, l’alcool et l’obésité, de même que la pollution atmosphérique — certaines études démontrant une connexion étroite entre certains cancers et l’environnement, que ce soit par l’usage de pesticides par exemple (autre sujet d’actualité), mais aussi par la pollution atmosphérique.

 

Selon le CIRC, dix types de cancer représentaient environ deux tiers des nouveaux cas et des décès dans le monde en 2022. Le cancer du poumon est la forme de cancer la plus répandue dans le monde, avec 2,5 millions de nouveaux cas. Il représentait plus de 12 % de tous les nouveaux cas et 18,9 % des décès, soit 1,8 million, ce qui en fait la principale cause de décès par cancer.

 

Le cancer du sein arrive en deuxième position, avec 2,3 millions de cas dans le monde, soit 11,6 %, mais il est à l’origine de 6,9 % des décès. Les autres cancers les plus fréquents sont le cancer colorectal, le cancer de la prostate et le cancer de l’estomac. Le cancer colorectal est la deuxième cause de décès par cancer, suivi par le cancer du foie, du sein et de l’estomac.

 

Même si les connexions entre ces types de cancer et l’environnement ne sont pas établies officiellement, elles sont, pourtant, le sujet d’études très poussées par des scientifiques brillants qui démontrent, malgré les freins, une connexion étroite entre ces types de cancer et la pollution de l’air, par exemple.

 

Le cancer est la première cause de mortalité prématurée en France, devant les maladies cardiovasculaires. On estime que 3,8 millions de personnes vivent en France aujourd’hui avec un diagnostic de cancer. Dans le monde, le cancer constitue la deuxième cause de décès avec près de 10 millions de morts par an.

 

Que veulent nous dire ces chiffres ? Que notre vision de la maladie doit changer, car quand bien même la recherche fait des avancées majeures sur le sujet, vivre avec le cancer sera une réalité davantage présente dans notre société, dans nos entreprises et devra être le sujet de toutes les attentions des directions. D’ailleurs, « l’image » du cancer est un sujet de travail au sein des sociétés et des entreprises. En réalité, le cancer ne tue plus comme avant, le taux de mortalité est en constante diminution depuis 25 ans — il se guérit dans la plus grande partie des cas.


L’accompagnement du malade devra sortir de l’hôpital et rentrer au sein de nos entreprises, comme une phase à laquelle il faudra se confronter en toute intelligence.

Les études démontrent qu’une femme à six fois plus de risque de rompre dans son couple lors de la maladie qu’un homme, ce qui nous amène à réfléchir sur les données anthropologiques de la maladie, tout à fait nécessaires, car cela rajoute de l’instabilité émotionnelle et financière dans la vie du malade (dans ce cas la femme).


Mettre en évidence les chiffres des ruptures des couples en cas de cancer, ce n’est pas uniquement mettre en évidence les données anthropologiques et sociales qui soulignent la vision d’une maladie plus présente qu’il n’y paraît dans notre société. C’est aussi mettre en lumière de nombreux thèmes qui s’y relient : la reproduction, l’accouchement, la ménopause, la menstruation, la sexualité, le poids médicalement recommandé, la large médiatisation des problèmes esthétiques, et finalement, la conformité normative d’un système patriarcal.

 

D’autres études montrent que les femmes qui assument des responsabilités familiales au quotidien tendent à se rapprocher des attentes culturelles sexospécifiques, ce qui influence la gestion de la maladie chronique (O’Grady, 2005 ; McMahon, 1995). Par exemple, Francesca M. Cancian et Stacey M. Oliker (2000) se rendent compte de la surreprésentation des femmes dans le travail de soins au sein de la sphère privée, le care, dont les caractéristiques ont été assimilées à des attributs féminins. D’autres études encore (Lorber et Moore, 2002 ; Meidani, 2007, 2008 ; Christias, 2009) montrent que les femmes apprennent à surveiller leur santé et la santé des autres, alors que la socialisation des hommes les incite à ne pas prêter attention à leur corps. Par ailleurs, les femmes utilisent le système de soins plus régulièrement que les hommes, ce qui leur vaut une certaine expérience du monde médical (Nussbaum, 2001), et sont plus enclines à reconnaître le caractère pathologique des symptômes, ce qui signifie qu’elles sont également plus disposées que les hommes à chercher et à obtenir de l’aide (O’Grady, 2005).

 

En complément de ces travaux, la littérature — bien plus éparse — qui porte principalement sur les rapports que les hommes entretiennent avec la santé s’attarde surtout sur le déni de la maladie chronique qui sape la capacité des malades à transmettre leurs besoins à leurs proches. Les femmes, plus entières, plus connectées au réel, vont être plus susceptibles à laisser percevoir leur fragilité et leur susceptibilité, leur peur, attitude peu développée chez les hommes.

 

N’ignorons pas que la crainte d’une « insuffisance » sur le plan sexuel due aux traitements hantent les réactions de la majorité de la population masculine, sommée à cette obligation de performance. Les hommes qui adhèrent à une certaine image de la virilité semblent donc enfermés dans un noyau représentationnel dur — qui se déploie autour du triptyque travail, sexualité, force. Donc, plus de stabilité et moins de conscience au risque présent.

 

En conclusion, nous sommes égaux face à la maladie, mais pas à sa gestion.

 

En quoi cela nous interpelle-t-il du point de vue de l’entreprise ?

L’insertion, la parité, la fidélisation de son capital humain.

 

L’état émotionnel du malade est essentiel en vue de son amélioration et de sa réponse aux traitements. Le déséquilibre financier du foyer — que ses séparations apportent — vient s’ajouter au stress et à l’instabilité du malade. L’entreprise est donc le foyer de soutien et de bienveillance envers le malade.

 

Le cancer, du point de vue de l’entreprise, parle d’engagement mutuel entre l’entreprise et ses salariés, ainsi que de performance et de bien-être ; cet engagement tend à diminuer les absences. De la même manière, l’enjeu d’un employeur est de ne pas perdre les compétences d’un collaborateur expérimenté et de renforcer la confiance dans l’entreprise.


Le maintien dans une dynamique professionnelle peut être un atout pour le salarié malade, car cela peut signifier qu’il continue à avoir une place active dans le champ social et se projette dans un avenir possible malgré sa condition personnelle au sein de son foyer. Le travail peut également jouer un rôle important dans l’évolution de la maladie.

 

Dans le cadre de l’entreprise, le salarié travaille la plupart du temps au sein d’une équipe de travail. Cette équipe va être déstabilisée par la maladie d’un collègue ; notamment grâce à une vision catastrophiste et à la faible connaissance de la maladie (approche anthropologique de la maladie) considérant les avancées de la science et elle enverra un message négatif et fataliste au malade. Si le salarié n’est pas maintenu dans une dynamique professionnelle, il va en résulter une surcharge de tâches au quotidien pour les collègues. L’entourage professionnel va se trouver confronté à une nouvelle relation avec la personne devenue le patient, et cet entourage deviendra une population fragile qu’il faut prendre en compte dans la politique salariale de l’entreprise.

 

En résumé, parler du malade du cancer, c’est réfléchir à une politique d’entreprise qui lui intègre et lui donne les conditions pour continuer d’avoir une vie sociale, une stabilité émotionnelle face à la peine et l’instabilité causée par la maladie. Toutefois, cela demande de considérer l’impact sur l’environnement — en l’occurrence, les collègues. Il est impératif de former et d’éduquer sur la maladie pour permettre un environnement global sain.

 

Le cancer est une réalité dans l’entreprise et doit être pris en compte en tant que tel. Les dirigeants des entreprises doivent se pencher sur la question et y faire face de la manière qui sera la plus profitable à tous : salariés, malade, collègues et l’entreprise elle-même.

 

Vivre et travailler avec un cancer peut devenir une réalité, pour le bien-être du patient quand cela est possible et souhaité. Cela peut également s’avérer thérapeutique.

 

Propositions :

 

  • Définir une charte du malade — qui définisse les droits et les obligations de l’entreprise face au patient.

  • Créer des rencontres annuelles de formation sur le sujet — afin d’éduquer tous les secteurs de l’entreprise sur la maladie, son développement, notre vulnérabilité et la bienveillance face au malade.

  • Constituer une checklist pour l’entreprise (surtout les groupes internationaux) qui met en évidence les points clés de la gestion et de la communication sur la maladie et l’obligation de mise à jour continuelle.

  • TOUTE ENTREPRISE DE PLUS DE 300 SALARIÉS DEVRAIT AVOIR UNE CHARTE DE GESTION DU MALADE

 

Pour conclure, si l’adhésion à des modèles de genre peu ou prou stéréotypés peut être tenue pour pathogène, sociale et anthropologique, elle peut aussi apparaître comme un levier précieux d’adaptation face aux modifications induites par l’expérience cancéreuse, prédiagnostics, prises en charge, rémissions et temporalités induites par les traitements, équilibres sociaux et socio-économiques, professionnels et émotionnels.

 

Également, dans une approche de coûts de l’inaction, nous pouvons calculer : celui de l’absentéisme, de la bonne réputation, l’impact de la rotation du personnel et la baisse de productivité au travail (ce que l’on appelle le présentéisme) considérant les études qui démontrent la hausse des taux de la maladie dans la société en général et l’impact de la rotation du personnel.

 

Enfin, agir sera toujours plus économique que l’inaction !



Auteur : Julia Agard

Image source : Pexels Anna Tarazevich, Antoni Shraba, Shvets production



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