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Décroissance extérieure et croissance intérieur

The snail has become the symbol of the Degrowth movement. Copyright: Bàrbara Castro Urío. 



Détrompons-nous ! Nous avançons plutôt vers les 2,8°C de réchauffement.

 

Nous sommes à quelques jours de l’ouverture de la #COP28 et la question de notre participation se pose encore. Serait-ce la mort des accords de Paris ? Les Nations Unies ont publié ce mardi une synthèse de près de 200 États. Le résultat est sans appel : si ces résultats sont appliqués, ces plans d’action nous mèneront vers un réchauffement compris entre 2,1 et 2,8 °C à la fin de ce siècle. Soit une catastrophe mondiale — voire une catastrophe sanitaire.

 

Jeudi dernier, j’étais à un événement à la Bourse de Paris, entourée par des financiers, des économistes et des chefs d’entreprises. L’absence des sujets environnementaux et de réflexions sur la gravité de l’état actuel m’a interrogée au plus haut point. Les engagements climatiques pris par l’ensemble de la communauté internationale demeurent encore très loin des objectifs nécessaires pour contenir l’emballement des températures. 

 

La planète s’est en effet déjà réchauffée de plus de 1,2 °C depuis l’ère préindustrielle. Les douze derniers mois, ont été les plus chauds jamais enregistrés sur Terre. Une personne sur quatre à travers le monde — soit 1,9 milliard d’individus — a été confrontée à des vagues de chaleur extrêmes durant cette période. C’est d’ailleurs une triste actualité brésilienne avec un ressenti de 58°C sur le sud-ouest et de 49°C en plein cœur de la forêt amazonienne — à Manaus.

 

En octobre, une coalition internationale de chercheurs et chercheuses a pour sa part confiée, après avoir évalué le climat de 2023, « être choquée par la férocité des événements météorologiques extrêmes » qui ont eu cours depuis janvier. En réalité, j’ai dramatiquement envie de dire : tout ça, nous le savons déjà. La question que l’on se pose actuellement est, que pouvons-nous faire pour convaincre ? Pour provoquer ? Pour booster le changement ?

 

En 1942, le résistant polonais Jan Karski livra à Felix Franksfurter, juif à la Cour suprême, le récit des rafles du ghetto de Varsovie et des assassinats systématiques des juifs polonais du camp de Belzec, dont il avait été personnellement témoin. Après l’avoir écouté, Franksfurter, lui-même juif, et l’un des plus éminents juristes de sa génération, répondit : « Je ne dis pas que ce jeune homme est un menteur. Je dis que je suis incapable de le croire. Ça n’a rien à voir ».

 

Qu’est-ce qu’explique notre capacité à distinguer ce que nous savons de ce que nous croyons, à faire abstraction de ce qui nous semble trop difficile à accepter ? Comment est-il possible, alors que nous avons toutes les preuves, parfois, même sous nos yeux, que nous choisissions d’ignorer quelque chose en parfaite conscience.

 

Bizarreries ? Paradoxisme ?


— Pourquoi les victimes d’inondations, de sècheresse et de violentes tempêtes sont-elles ensuite moins enclines à parler du changement climatique ou même à accepter son existence ?

— D’où viennent la méfiance, la haine, les insultes et les menaces dont font l’objet les scientifiques, qui exercent une profession qui d’ordinaire est parmi les plus respectées de notre société ?

— Pourquoi les amateurs de science-fiction sont-ils les premiers à refuser d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’avenir ?

— Pourquoi l’inquiétude des nouveaux parents vis-à-vis du changement climatique s’estompe-t-elle ?

— Pourquoi les groupes pétroliers préfèrent-ils s’inquiéter des menaces que représentent leurs planchers glissants plutôt que réfléchir à celles que posent leurs produits ?

 

 

En posant ces questions, je me permets de faire un plaidoyer en faveur de la reconnaissance du changement climatique : non comme une bataille médiatique opposant les sciences et les intérêts personnels ou la réalité et la fiction, mais comme un défi ultime posé à notre capacité à donner du sens à ce qui nous entoure. Plus que tous les autres, ce sujet met en évidence les rouages les plus secrets de notre cerveau et révèle (piteusement) un talent inné et hors du commun pour voir que ce que nous voulons observer et omettre ce que nous préférons ne pas savoir — Afin de reconsidérer nos propres gestes et décisions (1)

 

Je ne cherche donc pas à attaquer ceux qui ne croient pas au changement climatique (devrais-je ?). Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre. Ce qui m’intéresse c’est le chemin vers des solutions. En réalité, le changement climatique est le plus grand échec d’économie de marché. S’il était une entreprise, sans doute son dirigeant serait ridiculisé en public du fait de sa stratégie désastreuse.

 

« Le problème généralement pris en considération est celui d’établir comment le capitalisme gère les structures existantes, alors que le problème qui importe est de comprendre comment il crée, puis détruit ces structures ».

Joseph Schumpeter


Il devient chaque jour plus évident que la poursuite de ce programme mondial de croissance n’est pas indéfiniment réalisable, compte tenu des limites imposées par les écosystèmes. Et pourtant ce système persévère comme si c’était encore possible. Plus surprenant encore, l’impératif de croissance est parvenu à se dissimuler sous le « masque de la durabilité ». Devenu « durable » ou « soutenable », le développement s’accommode plutôt bien du capitalisme, sans questionner pour autant le cœur du paradoxe contemporain : comment parler de durabilité sans remettre en cause en même temps le système économique mondiale ? La mondialisation ? Les mesures de marchés ?  

 

Comment changer, si ceux qui s’expriment, qui maitrisent le pouvoir ne se manifestent pas pour le changement, le légitimant comme la seule manière de réussite possible ? Comment maintenir une croissance limitée — elle-même alimentée par une industrie publicitaire créatrice de désirs illimités — sans remettre parallèlement en question l’utilisation que nous faisons des ressources non renouvelables ?

 

Ne soyons pas cyniques : la publicité verte est noire. Les désirs sont dans la limite du possible atteignable et l’être humain dans son éternelle insatisfaction est un perpétuel insatiable, chasseur inépuisable.

 

Plus que jamais et à l’heure où le développement durable s’impose comme le nouveau messianisme technologique, il devient vital de s’interroger sur le fonctionnement nécessairement problématique des économies modernes et de leurs choix énergétiques. Aller au-delà du consensus politique actuel fondé sur l’absolutisme de la croissance, ne pas succomber à l’incantation technocratique, penser l’action, l’innovation et les transformations économiques génératrices du bien-être, concevoir que toute société porte en elle un projet qui ne se réduit pas à une capacité gestionnaire, rechercher les sources de la richesse et les raisons de sa fin possible.

 

Trop théorique ? Trop idéaliste ? Peut-être…

 

En réalité, la capacité de l’homme à accepter le changement est bien plus complexe, rajoutons à l’équation le fait que :

 

1.  L’homme est un animal névrotique qui a besoin du pouvoir :

Même si nous pouvons considérer également le pouvoir d’agir à travers l’action, il y a quelque chose de révélateur et qui est plus positif qu’on pourrait le croire. C’est notre pouvoir d’agir, la force qui réside en nous. Peut-être que notre pouvoir vient en effet du pouvoir d’autrui. Peut-être nous donne-t-il le pouvoir comme on donnerait des forces à quelqu’un ? Et peut-être que le pouvoir n’est pas seulement l’effet de la domination, mais avant tout, l’effet de la confiance. (…) (2)

 

2. L’homme est égoïste :

Les gens sont égoïstes ! Qui dit cela ? Eh bien, les gens, comme moi.

Comme dirait la philosophie grecque, épicurienne « Voir la souffrance des autres ne serait être un plaisir, mais voir à quels maux on échappe soi-même, est chose si douce… »

 

Malheureusement, nous n’échapperons pas à la catastrophe écologique. Aucun de nous.

 

3. La logique de baisse de consommation est irréaliste au besoin de l’homme de possession:

Les logiques de possession répondent à la question universelle de savoir qui a les droits et les obligations d’utiliser les ressources et les biens de façon différenciée.

 

Elles évaluent, en contextualisant l’écologie et sociaux concrets, l’utilisation de l’ensemble des ressources écologiques spécifiques à la satisfaction de l’ensemble des besoins spécifiques à une culture particulière.


Les usages alternatifs du sol, du travail, des équipements et des ressources naturelles, l’orientation de l’évolution de la technologie, le choix des biens produits et des services rendus, la gestion des déchets et de la pollution ainsi que le partage du résultat de l’activité économique sont guidées par des règles culturellement sanctionnées tenant compte de la matrice des inter-relations économiques, écologiques et sociales (Georgescu-Roegen, 1976).


Source : Steppacher 2006

 

4. Comme dit Platon, l’homme se construit par image :

 

D’une façon très générale, nous dirons que dans la pensée antique, l’être se manifeste de deux façons, dans l’intellect et dans le sensible, seule la réalité reste homogène. Avec Platon débute une analyse de la représentation via une réflexion sur l’image. Platon questionne la réalité des images reflétées, des rêves, des arts imitatifs et poétiques. Alors que l’image d’un reflet ou de nos rêves n’est pas la réalité. (3)


 

***

 


Pour ma part, je retiens que l’évolution économique des sociétés capitalistes est caractérisée par une logique institutionnelle centrée sur l’aspect propriété de la propriété. Une approche que l’on retrouve couramment dans les études de psychologie comportementale.

 

La théorie économique omet de préciser que l’aspect possession de la propriété — qui définit les possibilités d’utiliser, de consommer, de transformer, de manipuler, de combiner les ressources et les biens — est soumis aux lois de la thermodynamique et non pas à celles de la mécanique, comme l’insinuent les opérations de la comptabilité monétaire. L’ignorance de cette approche rend extrêmement difficile la compréhension du sujet.

 

Avant la révolution thermo-industrielle, il existait trois moyens principaux de transformer la croissance en propriété : 1) l’appropriation par la colonisation des ressources naturelles et des terres qui étaient en possession des populations indigènes, 2) le commerce inégal et 3) la concentration des fortunes. Ces processus continuent, mais avec la révolution thermo-industrielle (Grinevald, 1976, 1990) il est devenu possible, pour la première fois dans l’histoire, de transformer la pression institutionnelle en faveur d’une croissance exponentielle en une croissance exponentielle de production et de consommation matérielle. La raison en est la suivante : une machine à vapeur, un gisement de charbon et un gisement de fer permettent de produire autant de machines à vapeur qu’il est nécessaire pour extraire tous les gisements de charbon et tous les gisements de fer accessibles et utilisables. Les conditions nécessaires à ces activités sont les moteurs, dont la machine à vapeur était le premier modèle, les ressources minérales (donc non renouvelables) et les machines. Seule cette combinaison permet une croissance exponentielle matérielle.

 

Toutefois, une croissance exponentielle n’est possible que sur la base de la consommation et de l’épuisement des stocks de ressources minérales et non sur celle de l’utilisation des services rendus par les fonds de ressources biotiques !

 

Dans le besoin de continuation et la peur, la difficulté de se confronter aux limites, qui envoie une image de (mort — fin) l’homme essaie par tous les moyens de se leurrer sur la suite créant des portes de sortie comme « la croissance par le biais des ressources minérales ». Ce qui est dangereux, car le discours est trompeur s’il ne présente pas ses limites.

 

Les processus de production et de consommation, ainsi que les processus économiques de toutes sortes, relèvent en réalité du monde des ingénieurs. Les lois qui régissent ce monde sont donc des lois physiques, chimiques et biologiques. À ce niveau, l’efficacité signifie « efficacité de la transformation de l’énergie-matière ». C’est très différent de l’efficacité économique qui évalue les activités économiques sous l’angle de la propriété.

 

Tout est thermodynamique. Ledit recyclage est en réalité des déchets partiellement recyclables, tandis que l’énergie-matière est dissipée sous forme de pollution et d’accumulation de CO2 dans l’atmosphère. Voilà la réalité.

 

Dans un monde fini, la croissance illimitée d’un sous-système comme l’économie est impossible au-delà d’une période très limitée. C’est ça la vérité. Voilà le cynisme du discours : « le monde est cyclique, donc acceptons sa fin », alors que ceux qui haranguent ces propos, sont les mêmes qui ont déjà fait le maximum pour protéger leur descendance des conséquences. Lamentable désolant, humain.

 

La décroissance est devenue incontournable et je me demande bien qui sont ceux qui l’ignorent.

 

Que ce soit par les risques géopolitiques, que ça soit par la limitation des ressources, que ça soit par la considération des 9 limites planétaires. Décroitre, ralentir n’est plus une option. Sortir du pétrole (par épuisement de ressource et/ou inaccessibilité de moyens liées aux coûts) n’est pas un choix. Baisser la consommation électrique (par épuisement de ressource et/ou inaccessibilité de moyens liées aux coûts) n’est pas un choix. Changer les modes alimentaires, vestimentaires et de transports (par épuisement de ressource et/ou inaccessibilité de moyens liées aux coûts), n’est plus un choix. La croissance ne poserait aucun problème si le monde fonctionnait selon une logique mécanique, ce qui a été prouvé comme étant le contraire dès 1976 grâce aux écrits de Georgescu-Roegen. L’économie n’est donc qu’une partie (et la plus minable) de l’équation nature + société + économie.


 

Après la conférence de Stockholm en 1972, le concept d’écodéveloppement n’eut pas de succès. La décroissance, en tant que terme alternatif, a l’avantage de rendre attentif au fait que la croissance économique ne peut pas constituer une solution viable aux problèmes sociaux et écologiques. Il convient de rappeler ici que la croissance économique est mesurée par le Produit National Brut (PNB) — indicateur insensé qui ne nous informe pas sur la vraie condition du vivant et encore moins sur son environnement de vie.

 

Si dans un cadre géopolitique il est difficile de sortir du PIB, il peut, vraisemblablement, être tout de même complémenté par d’autres critères de mesure ; et cette complémentarité serait défendue par les pays qui feraient ce choix de se positionner comme moteurs du changement.

 

En définitive, le terme de décroissance indique qu’il y a nécessité de sortir d’une logique de croissance continue. Elle véhicule l’idée d’une maturité. Donc oui, une logique cyclique, respectueuse des matières premières, mais qui demande en complément un travail global d’adaptation avec des modèles de références qui sont à ce jour inexistants.

 

Pour conclure, il est intéressant d’observer qu’en définitive, le terme de décroissance indique qu’il y a nécessité de sortir d’une logique de croissance continue. Elle véhicule l’idée d’une maturité — donc, vieillesse, donc mort/fin. Ce qui est à rebours. Dans une société de propriété, dans laquelle une personne est évaluée fortement selon son revenu et sa fortune monétaire, devenir toujours plus riche, accumuler toujours plus de richesses, correspond à ce conditionnement et exprime une forme ordinaire de valorisation. L’idée qu’« on n’en a jamais assez » est économiquement soutenue par le fait qu’une position forte sur un marché dépend également de la sécurité que représente la valeur de la propriété.

 

Concernant la consommation, il faut distinguer les besoins humains immatériels et matériels. Alors que le système capitaliste est capable de satisfaire les besoins matériels de ses membres qui ont un pouvoir d’achat suffisant aujourd’hui, au détriment des pauvres et des futures générations, rien ne garantit une satisfaction des besoins immatériels. Ces besoins instinctuels, émotionnels, intellectuels et spirituels sont souvent non satisfaits et blessés dès le début de la vie des individus. Ils restent souvent inconscients et sont le fondement de la puissance de la publicité qui les capte au moyen de symboles pour les canaliser ensuite vers une consommation matérielle (Veblen, 1923). Mais, étant donné que ce type de consommation ne satisfait pas le besoin qui se trouve derrière l’achat, mais l’illusion de la projection de ce besoin sur la consommation, celle–ci peut croitre indéfiniment. La frontière entre le fini et l’infini est traditionnellement le sujet de la spiritualité ou de la religion sous sa forme culturellement spécifique.

 

Ne perdons pas de vue que la vie est une suite d’événements qui commence à la naissance, passent par une phase de croissance, puis de maturité, avant d’atteindre le vieillissement et la mort. La peur du vieillissement et de la mort explique est ce qui explique peut-être le mieux la raison pour laquelle nous restons presque exclusivement centrés sur la croissance alors même que nous savons tous que la créativité humaine ne se manifeste pas dans la croissance, mais dans la maturation de ce qui est créé.

 

Malgré tout cela, je me refuse de croire que l’humanité est vouée à l’échec. Il y a un chemin qui s’exprime par un processus de croissance interne, qui permet de devenir soi-même, ce qui correspond au processus de l’individuation, à distinguer de l’individualisme.

 

Devenir soi, est un chemin de croissance qui contrebalance le processus extérieur que demande et dépeint la croissance.

 

Alors, oui, nous ne faisons pas de la politique publique travaillant le « soi », mais si tout à chacun partait de cette réflexion l’accès à l’information, à l’étude, à la réflexion d’un autre processus deviendrait possible.

 

Nous savons depuis longtemps comment améliorer nos performances écologiques et sociales à peu près dans tous les domaines. J’écris souvent des propositions tellement évidentes à tel point que je me questionne sur ma légitimité à les défendre.

 

Mais vous pouvez constater que nous ne les exécutons pas parce que cette amélioration de qualité de vie ne correspond pas au critère de la rationalité économique, qui sélectionne les innovations technologiques et organisationnelles selon leur impact sur la valeur monétaire de la propriété engagée et non pas selon leur impact sur la qualité de vie. À partir d’une orientation éco-sociale mesurée grâce à des indicateurs écologiques et sociaux plutôt que par le PNB, nous ne pouvons évidemment pas prévoir quel serait l’effet sur celui-ci.

 

Il faut pourtant y croire…



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