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IVG dans la constitution

Source : NYT le 4 mars 2024


Aujourd’hui est un jour heureux. 49 ans après la mise en place de la loi Veil, la France devient le premier pays à constitutionnaliser le Droit à l’Avortement.


Dans la nuit du 28 au 29 novembre 1974, 284 députés contre 189 adoptaient la loi autorisant l'IVG, sous certaines conditions. Parmi ces députés, 55 UDR sur 174, 26 centristes sur 52, 105 socialistes sur 106, 74 communistes. Pour défendre cette loi, une femme, Simone Veil, alors ministre de la Santé, subit pendant les deux jours de débats les pires insultes, dénotant un classicisme déplorable, enduré également par de grands hommes de la République comme Robert Badinter. Jean Foyer déclara lors du débat : « Il ne faut pas que le vice des riches devienne celui des pauvres », faisant référence aux chiffres des avortements clandestins. Le Conseil constitutionnel, saisi par un ensemble de députés, rendit son verdict le 15 janvier 1975 : les dispositions de la loi ne sont pas contraires à la Constitution. Enfin, la France se réveilla le 17 janvier 1975 avec le nouvel article L-162-1 du Code pénal, qui énonce : « La femme enceinte, que son état place dans une situation de détresse, peut demander à un médecin l'interruption volontaire de grossesse avant la fin de la 10ᵉ semaine de grossesse. ». Il aura fallu des années de lutte pour arriver jusque-là. 


La légalisation de l’IVG avait été rejetée une première fois en 1973. Le projet de loi présenté par Jean Taittinger avait alors été refusé par 255 députés. L'Assemblée nationale comptait à ce moment-là sept femmes. L'association Choisir la cause des femmes (abrégée en Choisir) avait commencé son activité au début des années 1970, avec, dans ses rangs, Gisèle Halimi, Christiane Rochefort et, plus tard, Jacques Monod puis Michèle Chevalier, après le procès de Bobigny en 1972. Qui mieux que les femmes, souvent victimes, pour défendre leurs droits ?


Pour ce faire, trois grands thèmes ont été choisis pour constituer la colonne vertébrale de la campagne d’information nationale et internationale portée par l’association, essentiellement par la programmation de conférences-débats : éducation sexuelle, contraception, droit des femmes de disposer de leur corps. Cette campagne d’information visait à mettre en évidence le drame que représente une grossesse indésirée et les conséquences tant sur la vie de l’enfant né que sur celle de la mère.


Le sujet était systématiquement critiqué par ceux qui s’érigeaient en défenseurs d’un “ordre moral”. Les débats étaient à l’époque particulièrement violents, avec des accusations telles que : « Vous voulez tuer les enfants ! ». Il est drôle d’imaginer ces affirmations pour des fœtus alors que de manière curieuse ces « hautes consciences » de l’époque ne se souciait guère des enfants lors des bombardements au Vietnam ou ceux lors de la Shoah.  Il est embarrassant qu'à ce jour ce moralisme soit encore d'actualité.


Toutefois, des sujets tels que la méthode Karman et les meilleures conditions de sécurité médicale pour les femmes avaient enfin une réponse. Enfin, suite à différents dîners, débats et défenses plus ou moins pertinents, arriva le moment de mobiliser les femmes qui voulaient avorter. Les séances avaient toujours lieu en présence d'une femme médecin. Malgré toutes les évidences, la remise en question sur l'objectif de faire une usine à avortement était présente et demandait des dossiers pour y répondre. 


Les manifestations des femmes apportaient une note de gaieté, de sororité, de chaleur humaine, mais les débats et les batailles que l’association Choisir a dû livrer étaient plus durs. C'était le monde de la politique.


Une question subsistait, après tous ces combats menés, toutes ces données éprouvées, faudrait-il encore se battre ? La réponse est malheureusement : oui ! 


Aujourd’hui, le 4 mars 2024, alors que nous étions dans l’attente des résultats du vote de ce jour, ici, au Brésil, pays dont la majorité de la population est chrétienne (plutôt non pratiquante), où nous supposons que le nombre d’avortements est bien plus important que le million déclaré par l’IPAS, nous ne sommes pas prêts à voir l’équivalent de la loi Veil être voté au Sénat. En réalité, le poids de l’Église catholique et la forte culture patriarcale constituent des freins aux changements législatifs en ce sens au Brésil et en Amérique Latine en général.

 

Les associations féministes de ce pays de 221 millions d’habitants (en majorité des femmes) n’ont guère le courage de prendre ce combat en main, sachant qu’une vision de l’avortement équivalente à celle de la France des années 70 est encore d’actualité. Les personnes qui avec audace bravent la colère et le danger pour porter le sujet subissent des attaques ; la société civile est littéralement capable des pires atrocités envers celles-ci. Devant l’évidence, ces associations se mobilisent pour venir en aide, quand bien même fragilement, à celles qui sont blessées au-delà du physique, porteuses de traumatismes irréparables dans une société qui les ignore.

 

Il importe de considérer l’état du droit à l’avortement dans le monde et l’exemplarité que la France et l’Europe représentent à ce jour : suite au référendum irlandais de mai 2018, largement en faveur de l’avortement, seuls deux pays européens, Malte et Andorre, ne donnent toujours pas aux femmes le droit de décider de mettre un terme à une grossesse dans ses premières semaines. Hors des frontières de l’Europe, malgré quelques initiatives récentes comme, en juin 2018, le vote sur la légalisation en Argentine, l’avortement reste illégal ou restreint à certaines conditions dans un très grand nombre de pays. Cette situation est non seulement contraire au droit de chacune à disposer librement de son corps, mais elle a des conséquences désastreuses en matière de santé reproductive et d’inégalités de genre. 

 

En réalité, l’avortement est une pratique ancienne et universelle, qui se décline de différentes manières selon les époques et les contextes politiques, sociaux et culturels. Ces techniques existent, et certainement depuis toujours. À travers le monde, les législations sont variables, allant de l’autorisation à la demande de la femme jusqu’à l’interdiction totale. Partout, la libéralisation de l'avortement fait l’objet de polémiques intenses, souvent insensées, et une fois acquise, elle est parfois remise en question. Voilà tout l’intérêt de ce qui s’est passé en France, aujourd’hui - au Château de Versailles. Certains revendiquent l’accès à l’avortement comme un droit humain, un droit des femmes, un droit sexuel et reproductif, mais aussi comme un droit à la santé face aux conséquences des avortements illégaux. D’autres le condamnent au nom du droit à la vie de l’embryon - ce qui constitue une absurdité pour le monde du XXIème siècle, largement renseigné sur le sujet. 


La désapprobation sociale qui caractérise encore largement le recours à l’avortement s'exprime de multiples façons : elle va d’un refus du droit à l’avortement ou de l’absence de visibilité de cette question dans l'agenda international (par exemple, aucune mention n'en est faite dans les Objectifs du développement durable), à une opposition des administrations américaines conservatrices au financement de ces programmes (the global gag rule) (Singh et Karim, 2017 ; Starrs, 2017), jusqu'à la réticence des femmes à parler de leurs avortements. Elle se traduit également par des sanctions et l’emprisonnement de femmes dans certains pays, par un traitement discriminatoire dans les centres de santé tant pour la prise en charge des avortements que pour le traitement des complications, ou encore par la difficulté à trouver des personnels de santé qualifiés fournissant ce type de services.

 

Le refus de la maternité est encore à ce jour vu comme un comportement déviant. En réalité, l’avortement a toujours été utilisé comme un mode de régulation de la fécondité en complément de la contraception, et il a joué un rôle dans les transitions démographiques passées et contemporaines. L'avortement est aussi devenu un outil privilégié de certaines politiques de régulation (ou non) de la population. Dans plusieurs pays communistes comme la Bulgarie, durant la seconde moitié du xxe siècle, il a été un instrument des politiques de population dans un contexte d’accès limité à la contraception. Son rôle est aussi notoire dans certains pays asiatiques désireux de contrôler l’augmentation rapide de leur population. Ces politiques de contrôle de la démographie ont conduit à des taux élevés d'avortement, voire à des pratiques abusives, comme dans le cas des avortements forcés en Chine dans le cadre de la politique de l'enfant unique à la fin des années 1970. Ces abus viennent nier et agresser le droit de la femme de procéder et de répondre selon le libre usage de son corps et de sa volonté. 

 

En Amazonie, les taux d’avortement sont colossaux, et ceux-ci sont de manière traditionnelle effectués selon les savoirs populaires – les savoirs de la forêt. Les autochtones sont capables de contrôler leur fécondité grâce à l’usage de plantes, de thés et peuvent avorter par les mêmes moyens. Quand accidentellement cela provoque le décès de la femme, celui-ci est considéré comme une décision de la nature – mère de tous les êtres. Cette approche est la même dans d’autres régions du monde où, selon la pharmacopée traditionnelle, des plantes sont connues pour leurs vertus contraceptives, abortives ou pour provoquer les menstruations. Dans d’autres pays et régions, les méthodes d’avortement sont chirurgicales (dilatation et curetage, aspiration manuelle) ou médicamenteuses. Dans tous les cas et quelle que soit l’approche choisie, se fait entendre une demande criante dans une société encore patriarcale. Dans le remarquable discours de Simone Veil, ces mots résonnent : « nous ne pouvons plus fermer les yeux sur ces milliers de femmes dans le monde qui meurent chaque année dans des avortements clandestins par tous les moyens possibles ».

 

Des centaines de synthèses et publications, notamment de l’ONU, existent à ce propos. Les données sont essentielles afin de démontrer le cadre législatif fragile de l’avortement et déterminer, en conséquence, une offre de services, qui respecterait le droit des femmes et leur santé.

 

Les législations oscillent souvent entre des périodes d’assouplissement et de restrictions, pour des raisons aussi bien morales que religieuses, sanitaires, éthiques ou juridiques. Et même dans les cas où l’autorisation existe (comme en Europe, en France même) nous connaissons tous une histoire d’un médecin qui s’est permis un refus pour des motifs qui lui appartiennent. Ajoutons à cela la question de la temporalité limitée. 

 

En 2013, lors de la première Conférence régionale sur la population et le développement d'Amérique latine et de la Caraïbe, si les droits sexuels ont été réaffirmés en tant que droits humains, la question de l’avortement a finalement été posée en termes de santé publique. En réalité, l’Amérique latine est très impactée par les décisions de politique publique et les valeurs sociales états-uniennes. Le dernier événement à ce sujet survenu aux USA met en évidence la gravité du problème au Brésil, en particulier dans une région comme l’Amazonie, où l’accès à l’éducation, la culture et l’information est bien plus limité que dans des grandes villes comme São Paulo.

 

En fin de compte, c'est bien sous contrainte que ces femmes sont obligées de recourir à d’autres solutions pour contourner la loi quand celle-ci est peu permissive. Dans le désespoir, dans le risque, dans le traumatisme. Procréer est, et doit rester un acte de liberté. C’est l’acte fondamental et intime fondant les libertés des femmes. DE TOUTES LES FEMMES. En 2024, l’univers de beaucoup de femmes dans le monde est encore gouverné par des hommes, par les envies des hommes, par des lois écrites par des hommes. Des mors maintenus dans une société où des femmes souffrent du manque d’accès à des droits fondamentaux. Ce ne sont pas des mots féministes, mais un discours factuel. Le chemin vers la liberté est encore long. Il est immense et grandiose le chemin des femmes. Le combat pour l’avortement n’est pas que le combat de la liberté, mais également du droit. Du droit à la parité, du droit à la dignité en toute circonstance, ainsi qu’au soutien dans les contraintes comme la maladie ou le divorce, à l’égalité salariale, aux opportunités égales en entreprise et en société, etc. Ce combat pour l’égalité des droits inclut le congé de naissance. Oui, nous sommes encore loin de l’égalité, mais nous marchons et nous nous refusons au défaitisme qui consisterait à considérer que « c’est comme ça ». Je refuse le défaitisme qui pousserait à estimer qu’un autre chemin serait impossible, à cause d’une majorité parlementaire conservatrice ou d’une culture sociale encore très patriarcale, au sein du pays « nouveau » et pas assez éduqué qu’est le Brésil. Non, je me refuse au défaitisme qui affirme que c’est dangereux de tenter de trouver une autre issue. 

 

Si j’étais consternée à propos des discussions sur le risque que ferait courir le droit à l’avortement en France, je suis tout de même en joie pleine et entière ce 4 mars 2024, HISTORIQUE, qui transmet un message fort d’exemplarité au monde entier : la femme est libre de disposer de son corps et peut bénéficier d’un soutien total si elle prend une décision qui n’est pas celle de la procréation. Avorter est un acte d’amour, de respect et de conscience individuelle et collective. Nos libertés sont par essence fragiles. Les Américaines l’éprouvent plus que jamais. Parler du risque de la liberté c’est se rappeler toutes ces nations qui se sont battues pour des droits fondamentaux et qui en un temps minime ont vu leurs droits bafoués (américaines, hongroises, polonaises, iraniennes, afghanes, russes), sans oublier celles qui n’ont jamais pu rêver autrement : brésiliennes, chinoises, somaliennes… 


L’adoption du droit à l’avortement a connu des étapes en France, celle d’aujourdhui marque un tournant inspirant, qui ouvre des portes majeures comme celles de la possible inscription de ce droit dans la charte des droits de l’homme. Oui ! nous sommes bien dans l'ère où « tout est possible » et ça, c’est excitant. Nous serons toutes au RDV, pour moi, pour les autres, pour celles qui arriveront, ici et ailleurs. 

 

Malgré tous les freins moraux, le débat sur l’avortement s’étend peu à peu, ici au Brésil. Le STF s’engage à s’emparer du thème, et je rêve du jour où cela ne sera plus un sujet mais un droit de toutes les femmes de toutes les classes sociales. Car au Brésil, c’est bien de classes qu’il est question.  




À ce jour, nous préparons l’avenir. Oui ! à ce jour, la France incarne les droits de la femme, et je suis fière.








Auteur : Julia Agard© Sources :

  • Le droit à l'avortement, publié le 11/10/2022 - Lien de consultation

  • La légalisation de l'avortement revient dans le débat public avec le jugement du STF, publié le 28/09/2023 - 07:00 par Letycia Bond - Lien de consultation

  • Le droit à l'avortement au Bresil, Cairn Info, par Rosa Maria Marques le 03/2015 - Lien de consultation

  • L'avortement dans le monde. État de lieux, législations, mesures, fréquences. Par Agnes Guillaume - Lien de consultation

  • Chronique d’une constitutionnalisation attendue : l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse au sommet de la hiérarchie des normes. Par Florence Chaltiel - Lien de consultation

  • L’entrée de l’IVG dans la Constitution, un « moment historique ». Par Solene Cordier - Lien de consultation

  • L’abandon d’enfant, un crime passible d’emprisonnement ?. Le 19/05/2021 par Milene Rabenoro - Lien de consultation

  • Femmes en mouvement au Brésil : noircir le féminisme, par Sueli Carneiro - Lien de consultation

  • L'insoutenable situation des femmes au Brésil. Le 23/06/2023 - Lien de consultation

  • Droit à l’IVG : ouvrons une nouvelle ère du constitutionnalisme, par Stéphanie Hennette le 12/07/2022 - Lien de consultation


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