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Le crépuscule des Maldives - Temps d'agir

Dernière mise à jour : 9 févr.

Résumé: L’ombre d’un cauchemar se répand sur l’archipel d'ou au changement climatique causant la monté des eaux dans une des régions le plus plat au monde. Il nous faut de la responsabilité et de l'action.



L’ombre d’un cauchemar se répand sur l’archipel. Les cartes postales ont fort à faire avec les lagons lumineux et les couchers de Soleil, mais un œil lucide y aperçoit d'autres paysages, d’autres perspectives. Quelque chose hurle aux Maldives. Quelque chose se meurt. Lecteur, si tiens à conserver la belle image du « bout du monde », je t’invite à quitter cette page. Si tu restes, saches que la beauté naturelle est en recul. Elle cède la place, progressivement, comme par lassitude. 


Partout, en bord de mer, des déchets plastiques. Les communautés, soucieuses de se protéger des inondations, ont dressé des barrières, mais la montée des eaux les menace de disparition d'ici à trente ans. Les Maldives seraient, alors, le premier pays au monde rayé de la carte. Le premier engloutissement. Symboliquement, ce serait le début de la fin. 



1196 îles peu élevées, organisées en une double chaîne de 26 atolls, si plates qu’elles percent à peine l’horizon. Une culture forgée sur 2500 ans de vie maritime. Parce que les nombres parlent, les nombres comptent. Ils nous donnent ici la mesure de cet anéantissement annoncé par les plus récentes études. 


Nous nous sommes installés dans la communauté de Dharavandhoo. Conformément aux missions de l’ONG Invisibles, il s’agissait d’y découvrir le niveau d’éducation des femmes, d’y comprendre la culture du mariage, l’âge moyen de la première grossesse. Nous y avons étudié leur pouvoir d’achat et les difficultés liées à l’insularité. Cependant, le voyage dicte ses règles et c’est une autre urgence qui s’est imposée à nous. L’urgence véritable, celle qui devait retenir toute notre attention, ce fut la montée des eaux et ses menaces.


Quel avenir pour les locaux ? L’île paradisiaque sera-t-elle un tombeau sous-marin ? La course est engagée. D’une part, l’accélération du changement climatique. D’autre part, ces tentatives de résistance en espérant que les dirigeants mondiaux réduisent leurs émissions de carbone. À grands frais, l’archipel mise sur la construction d’une île artificielle surélevée, afin d’accueillir la majorité de ses 555 000 habitants. Un cabinet de conception néerlandais prévoit, en parallèle, de bâtir 5 000 maisons flottantes sur des pontons ancrés dans un lagon, à travers la capitale. Inventivité et ardeur, à défaut de bon sens. Mais, avec quel succès ? Nul ne le sait. 


En parallèle, les grandes chaînes hôtelières internationales anticipent le sombre avenir et savent que ce lieu deviendra inexploitable à court terme. Démarche coloniale classique, qui poursuit sa croissance économique sans générer la moindre valeur locale. Une présence rémunératrice. Un impact destructeur. Et « après nous, le déluge ». Littéralement. 


Dans les grandes villes, on se projette sur 1,5 degré d’augmentation de la température. On l’envisage, on y pense. Éventuellement, on se prépare. Aux Maldives, c’est une bataille quotidienne.  Lors de la COP26, le président Ibrahim Mohamed Solid a indiqué ce que signifierait 2 degrés supplémentaires :


« La différence entre 1,5 degrés et 2 degrés équivaut à une condamnation à mort pour les Maldiviens ». 

 

Au rythme actuel, nous sommes partis pour 4 degrés. 


Si le réchauffement climatique est actuellement le plus grand danger pour les Maldiviens, il n’est pas le seul. Il faut y ajouter les moussons. La zone étant sismique, il faut y ajouter les tremblements de terre et les tsunamis. Les habitants n’ont pas les moyens de mesurer l’impact du tourisme qu’ils attirent, mais ils perçoivent parfaitement les alarmes quotidiennes de la nature. Pluies diluviennes, taux d’humidité croissant, chaleurs excessives : c’est la qualité de vie de tout un peuple qui est bouleversée. Même la faune connaît ses transformations : j’ai souvenir, il y a quelques années, d’habitants jouant avec les requins en bord de mer. Il n’y en a plus aujourd'hui.    


L’un des plans d’urgence consiste à sauver les Maldiviens par une relocalisation en Australie. Mais, on ne peut ignorer que l’immigration de survie vers cette île est déjà forte, notamment depuis l’Inde et le Pakistan. L’Histoire récente nous démontre que les mouvements migratoires de masse ne vont pas sans occasionner diverses questions économiques et sociales.  




Un constat sans appel


Nous craignons une immigration qui fait pourtant figure d’évidence. Et de nécessité. Le changement climatique n’épargnera aucun continent. Certains craignent la perte d’identité. D’autres, la perte de leur lieu de vie. Lorsque viendra le tour des Maldives, se posera la question de ce qui est sauvable et de ce qui sera perdu à tout jamais. Tout ceci se prépare en amont, dès à présent. Je refuse de minimiser la responsabilité de chacun par son mode de vie. Vote aux élections, choix en matière de consommation : toute action a un impact. Ne jamais oublier que la loi de l’offre et de la demande domine chaque industrie. 



Les remaniements désespérés 


Il faut entendre ceci : la montée des eaux a déjà commencé. L’archipel, en conséquence, est en remaniement permanent pour tenter d’y faire face. 

Le 17 octobre 2019 eut lieu le premier Conseil des ministres sous-marin de l’Histoire. Un coup médiatique, savamment orchestré, permettant d’évoquer la situation des Maldiviens à deux mois du sommet de Copenhague. C’est l’œuvre de Mohamed Nasheed, ancien journaliste devenu, en 2008, le premier président démocratiquement élu de la République des Maldives. Trente années de dictature prennent alors fin. Son credo ? « On ne peut pas négocier avec la nature ». Il a raison. Surtout quand votre pays, le plus plat au monde, voit son corail asphyxié et ses plages érodées, rejetant la population vers des îles les moins exposées. Pour enrayer la poussée de l’océan Indien, Nasheed consolide, bâtit des digues à coups de millions, pompe des tonnes de sable pour empêcher l’érosion. En vain.


En quatre décennies, les projets de réhabilitation ont permis d'augmenter la superficie du pays d'environ 10 % (soit 300 km²). Toutes les îles s’abritent derrière des barrières de roches qui, à bien y regarder, ne sont que des pansements. Dans un récent rapport, Human Rights Watch (HRW) accuse les autorités de ne pas respecter leurs propres réglementations environnementales : les projets de réhabilitation seraient « souvent hâtifs » et dépourvus de politiques de modération appropriées.


« Le gouvernement des Maldives a ignoré ou sapé les lois sur la protection de l'environnement, augmentant ainsi les risques d'inondations, entre autres dommages causés aux communautés insulaires », estime HRW.

Il faut ajouter à ce tableau l’infiltration des terres par un sel qui corrompt l’eau douce. « Chaque île des Maldives est à court d'eau douce », a déclaré à l'AFP Shauna Aminath, 38 ans, ministre de l'Environnement du gouvernement précédent. La quasi-totalité des 187 îlots habités de l'archipel dépendent d'usines de dessalement coûteuses, a-t-elle précisé.


Est-ce une rareté ? Non. 97,5 % de l’eau sur Terre est salée, et bien d’autres régions du monde sont confrontées à ce problème. Selon le Registre des menaces écologiques 2020, environ 2,6 milliards de personnes vivent actuellement dans des pays exposés à des niveaux élevés et extrêmes de stress hydrique.


Finissons par les difficultés de gestion des eaux usées et leur terrible symbolique. Il arrive, en certains points de l’île, que l’on sente l’odeur des égouts à travers l’eau transparente. Puanteur de l’avenir comme un mauvais présage. 



Trois scénarios pour demain


Scénario 1 : La décision historique 

Création d’un « droit universel à la mobilité ». Nous devons nous préparer à des déplacements massifs de populations, affirmons ce droit à vivre quelque part. La communauté internationale revient à la raison, juste à temps, et l’Inde cède une partie de son territoire aux Maldives. 


Scénario 2 :  Saisie de la Cour pénale internationale au nom du peuple maldivien

S’ouvre alors un procès pour crime contre l’humanité. Sont visés les États ayant délibérément négligé la crise climatique et directement entraîné la dispersion du peuple maldivien.


Scénario 3 : L’horreur 

Rien n’est fait. Les catastrophes de grande ampleur se succèdent. La quasi-totalité du peuple maldivien disparaît. En plus des habitants, ce sont une langue, une histoire et une culture qui s’évanouissent. 


« Les langues (autochtones) sont déjà vulnérables et en danger », explique Anastasia Riehl, responsable du département de linguistique à l'Université Queen's (Canada).



Témoignages



Nous avons rencontré Rish, un entrepreneur local. Plongeur et chef d’un hôtel en bord de mer, il porte son regard sur la terre et sous les eaux. Il conserve néanmoins un optimisme remarquable, peut-être irréaliste. Manager d’une association de plongée, il a pu constater les conséquences du changement climatique et de la pêche illégale :

 

« Les coraux se déplacent, meurent, les animaux s’en vont, le requin, essentiel pour l'équilibre de l’écosystème, est la première victime des pêches clandestines - sa disparition en est la preuve ». 


Il est très clair, nous dit-il, que la préservation de la biodiversité et de l’écosystème n’est pas une priorité des puissants. Il déplore avec émotion un laisser-faire de son gouvernement face à l’installation des acteurs du tourisme, malgré le dépit des locaux.


« Je ne rêve pas d’une carrière en Europe. Ce qui m’inspire et ce que j’ai transmis à mes enfants, c’est la protection de la terre d’où nous venons et où nous finirons ».


Sa passion pour le lieu m’émerveille. Son optimisme aussi :

« Lors des plongées, malgré tout, on observe que la nature arrive à se battre, qu’elle se déplace, mais qu’elle gagne en force. Cela me donne de l’énergie et de la confiance ». 


Il conclut ainsi :  « l’avenir est brillant ». 


Je voudrais le croire. Tous, malheureusement, ne sont pas si optimistes. À l’image d’Ibrahim. Dans ses yeux, le futur des Maldives est déjà écrit en lettres noires. Malgré tout son amour pour cette île, où il a toujours vécu, il a installé ses deux enfants à Malé, la capitale, et leur prépare un avenir en Europe.  


Les habitants se plaignent beaucoup de ce qu’ils appellent le « changement des saisons ». Selon eux, la saison des pluies est très manifestement décalée depuis trois ans, déstabilisant tout un écosystème touristique.  





Mises en perspectives 


Ce que ce peuple sera demain est aujourd’hui sur nos épaules. C’est une lourde responsabilité, sans doute, mais c’est la nôtre. L’un des principaux sujets de la COP28 fut « la sortie des énergies fossiles », mais les accords trouvés sont plus ou moins crédibles. Songe-t-on véritablement aux pays du sud, premiers à subir le réchauffement climatique ? Malgré l’Accord de Paris, qui visait leur limitation, les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter. Les grandes puissances y contribuent, à divers degrés, certes, mais les études sont formelles : l’exploitation pétrolière n’a pas baissé. Au contraire, elle s’intensifie pour répondre à une demande mondiale croissante.  


Après une légère baisse en 2020, mais que l’on doit à la pandémie plutôt qu’aux bonnes volontés, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) sont reparties à la hausse. En 2022, elles atteignirent 57,4 gigatonnes en équivalent CO2 (GtCO2e), contre 54,5 en 2020, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Le constat est plus frappant encore avec du recul : entre 1990 et 2022, ces émissions de GES ont augmenté de 62 %.


Sans surprise, les quatre principaux émetteurs sont la Chine, les États-Unis, l’Inde et l’UE27). À eux seuls, ils cumulent plus de 55 % des émissions directes totales, selon la base de données européenne EDGAR. En 2020, l’ensemble des pays du G20 représentait 75 % des émissions mondiales.


On notera que si le transport maritime international (exclu de ces chiffres) était un pays, ce serait le 13ᵉ plus gros émetteur, devant la Corée du Sud. Quant à l’aviation internationale, elle prendrait à la 22ᵉ place. Comptabilisée avec les 26 autres États membres de l’UE sur ces infographies, l’Allemagne prise séparément serait la 11ᵉ plus grosse émettrice de GES (en excluant l’UE du classement).

 

Si l’on observait ces émissions en les rapportant au nombre d’habitants par pays, le Qatar (67,4 tCO2e), le Bahreïn (39,3 tCO2e) et les Emirats arabes unis (29,3 tCO2e) formeraient l’irresponsable trio de tête. 


Quel monde finançons-nous par nos heures de travail quotidiennes ? Tous, nous avons un impact, direct ou indirect. 



Alors, que faire ? AGIR !


Parler transition, c'est adopter une vision tripartite entre l’État, les entreprises et les citoyens. L’État peine malheureusement à défendre les systèmes de taxation internationale, pourtant nécessaires pour contenir ces émissions. On fait souvent de l’industrie une grande coupable en matière d’émission à gaz effet de serre, et à bon droit. Mais, les chiffres révèlent que le transport pollue bien davantage. 68 Mt Eq CO2 pour les seules voitures en France. La responsabilité de chacun est bel et bien engagée. En repensant le quotidien, chacun, à son niveau, peut montrer sa détermination. 


Choisissez vos voyages avec une vue globale. Il ne s’agit pas d’arrêter le tourisme, seulement de reconnaître qu’avoir quitté sa ville résidence, c’est déjà voyager. La nature est belle partout. Elle mérite d’être partout appréciée.


Pour combattre l'inaction face au changement climatique, nous devons radicalement bousculer le système. Mais, nous ne pouvons pas attendre que tous partagent notre point de vue, tant s’opposent les perceptions et les intérêts. Dans ce contexte, l'instauration de taxes joue un rôle crucial, sans méconnaître leurs impacts sur les différentes classes sociales.


La situation que nous vivons est l’œuvre de brillants techniciens. Toutes sortes d’experts qui se désintéressent des données pourtant bien connues. Disons-le clairement : l’inaction sociale et environnementale est une ultraviolence. Les catastrophes et les morts n’en sont que des conséquences. La violence en elle-même réside dans l’inertie politique et géopolitique, dans le mépris devant le changement climatique et la somme des dégâts environnementaux. Nous ne pouvons nous contenter de pointer le système. Contre sa violence, j’en appelle à une citoyenneté forte. Qu’elle prenne, s’il le faut, la forme d’une « désobéissance civile ».    


Tous, partout, nous pouvons emprunter les chemins de l’action. Le tourisme est l’un de ceux-ci. 


Ne jamais oublier que le marché dépend de la demande. Tout consommateur a ainsi son rôle à jouer. Un rôle central. Qu’il se souvienne que le boycott est une arme puissante. Qu’il en use. 
À chacun ses responsabilités. 

Auteur : Julia Agard©

Images : Julia Agard, Pextel - Assad Photo Maldivas










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