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La démocratie, souvent qualifiée de « moins pire des régimes politiques » (Churchill, 1947), semble traverser une période critique. De nombreux chercheurs et penseurs contemporains, tels que Steven Levitsky et Daniel Ziblatt dans How Democracies Die (2018), ont démontré que les institutions démocratiques, bien que robustes, sont vulnérables face à des dynamiques socio-politiques et économiques favorisant l’autoritarisme et la polarisation. Les règles du jeu semblent avoir changé, suscitant une inquiétude croissante, mais sans provoquer une prise de conscience généralisée.
L'élection de Donald Trump, souvent perçue comme un électrochoc, n’est en réalité qu’un symptôme d’un problème plus ancien. Les conflits actuels, comme l’invasion russe de l’Ukraine et la guerre initiée par le Hamas, témoignent d’une époque de violence où les relations diplomatiques semblent avoir perdu leur efficacité. Dans ce contexte, la force et la violence prennent peu à peu le pas sur le dialogue et la négociation.
Depuis le début du XXIe siècle, les démocraties établies montrent des signes d’affaiblissement. Levitsky et Ziblatt expliquent que ce déclin ne se manifeste pas par des coups d’État violents, mais par une érosion lente des normes démocratiques. Parmi les principaux facteurs de cette dégradation figurent la montée du populisme et le mépris croissant pour les principes démocratiques fondamentaux. Des leaders populistes comme Donald Trump ou Viktor Orbán exploitent le mécontentement populaire pour affaiblir les institutions démocratiques. Ces figures politiques divisent l’opinion en opposant un « peuple pur » à des élites supposées corrompues, alimentant une méfiance généralisée qui fragilise les contre-pouvoirs, tels que les médias indépendants et les institutions judiciaires, tout en érodant la foi des citoyens dans le système démocratique.
Les transitions démocratiques ont historiquement reposé sur des normes tacites, telles que le respect des opposants politiques et la reconnaissance des résultats électoraux. Cependant, lorsque ces normes sont bafouées, comme lors de l’assaut du Capitole aux États-Unis en janvier 2021, cela marque un basculement vers une politique où la violence et l’intimidation prennent le pas sur le débat et la négociation. Une telle évolution est souvent alimentée par des sociétés en souffrance, incapables de distinguer clairement entre faits et désinformation. À mesure que la foi dans les institutions s’érode, un vide idéologique se crée, laissant place à des rapports de force violents et disproportionnés, tant dans la société que dans les États. Cette dynamique a des conséquences profondes sur l’équilibre politique et mondial.
Cette nouvelle organisation géopolitique, marquée par l’usage de la force et une stratégie commerciale agressive, illustre à quel point l’affaiblissement des principes démocratiques peut accroître les tensions mondiales. En s’affranchissant des normes internationales et en utilisant sa puissance économique comme levier, la Russie, par exemple, redéfinit les règles du jeu diplomatique, souvent au détriment de la stabilité et du dialogue multilatéral. Bien que des sanctions économiques évolutives aient été imposées, comme des embargos sur les exportations énergétiques, elles n’ont pas suffi à freiner Vladimir Poutine. La diplomatie internationale s’est concentrée sur le gaz russe pour tenter d’affaiblir le Kremlin, mais sans résultats significatifs. Historiquement, la Russie a été un fournisseur clé d’énergie pour l’Europe, en particulier pour l’Allemagne. Avant la guerre en Ukraine en 2022, 40 à 50 % du gaz naturel importé en Allemagne provenait de Russie, via des gazoducs comme Nord Stream 1. Ce gaz était essentiel non seulement pour la production d’électricité, mais aussi pour des secteurs industriels stratégiques. Depuis 2022, cependant, l’Allemagne a drastiquement réduit sa dépendance énergétique envers la Russie, en diversifiant ses sources, bien que cette transition ait entraîné une détresse économique pour son industrie, marquée par une augmentation des coûts et des difficultés d’approvisionnement.
Malgré les sanctions, des mécanismes parallèles ont été mis en place pour permettre à la Russie de continuer à vendre son gaz sur d'autres marchés mondiaux, soulignant la complexité des relations économiques internationales où l’interdépendance énergétique limite l’efficacité des sanctions. La Russie a renforcé ses relations commerciales avec des pays comme la Chine, UAE et l’Inde, contournant ainsi les pressions occidentales. En mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, l’accusant de crimes de guerre, notamment la déportation illégale d’enfants ukrainiens. Cependant, la Russie ne reconnaît pas la juridiction de la CPI, ce qui réduit l'impact de ce mandat. Ces dynamiques illustrent que, bien que les sanctions économiques et les initiatives judiciaires soient importantes, elles ne suffisent pas toujours à contenir les régimes autoritaires. La Russie continue d’exploiter ses ressources naturelles et ses alliances géopolitiques pour résister à la pression internationale, tout en remodelant les équilibres mondiaux au détriment des démocraties libérales.
Parallèlement, les États-Unis ont multiplié les efforts diplomatiques pour mettre fin à l'offensive israélienne à Gaza et établir un cessez-le-feu. Ils ont travaillé en collaboration avec des partenaires régionaux comme l'Égypte et le Qatar, en proposant plusieurs accords de cessez-le-feu, notamment par le biais de résolutions au Conseil de sécurité de l'ONU. Toutefois, ces efforts sont restés sans résultats probants. De leur côté, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et d’autres pays du Sud global redéfinissent les rapports
de force, opposant un contrepoids à l’hégémonie occidentale. Ces pays, autrefois marginalisés, s’affirment désormais comme des acteurs centraux dans un monde multipolaire.
La question qui se pose aujourd'hui est : comment pouvons-nous contenir les dictateurs et ceux qui enfreignent les normes internationales, celles qui ont permis de construire une stabilité mondiale après la Seconde Guerre mondiale ? Quels outils et stratégies la communauté internationale peut-elle déployer pour dissuader les pays ne respectant pas les normes du droit international ? À ce jour, les relations diplomatiques semblent perdre de leur efficacité, tout comme les pressions médiatiques, l’isolement, les actions judiciaires internationales, et les sanctions économiques et financières. La force et la menace, inscrites dans les relations commerciales, semblent dominer, avec des conséquences notables.
La montée des BRICS et du Sud global repose sur des transformations économiques, politiques et stratégiques, qui témoignent d’une redistribution des cartes. Ces évolutions se manifestent non seulement dans les chiffres du PIB et du commerce international, mais aussi dans des initiatives politiques, culturelles et scientifiques. Cette dynamique reflète une tendance irréversible vers un monde où les rapports de force sont désormais la règle.
Les BRICS illustrent cette redistribution des rapports de pouvoir. En 2023, ces cinq économies représentaient près de 40 % de la population mondiale et 25 % du PIB global en parité de pouvoir d’achat. La Chine, en particulier, est devenue un acteur économique incontournable, surpassant les États-Unis comme principal partenaire commercial de nombreux pays africains et asiatiques. Selon Joseph Nye, auteur du concept de « soft power », la Chine combine puissance économique, influence culturelle et développement technologique croissant (Nye, The Future of Power, 2011). L’Inde, deuxième géant des BRICS, illustre également cette montée en puissance, avec une croissance rapide, notamment dans les secteurs technologiques et pharmaceutiques. Le chercheur Parag Khanna (The Future is Asian, 2019) prévoit que le XXIe siècle sera marqué par une domination asiatique, soutenue par des alliances stratégiques entre les BRICS et d’autres économies émergentes. Enfin, bien que confrontée aux sanctions occidentales, la Russie fait preuve d’une résilience impressionnante, diversifiant ses relations économiques avec l’Asie et l’Afrique.Ces pays ont en commun leur manière de mener la politique interne et de redéfinir les rapports de force internationaux, soulignant que les modèles diplomatiques et respectueux des traités semblent aujourd’hui obsolètes. Les BRICS et d'autres pays du Sud global, comme le Nigéria et l’Éthiopie en Afrique, ou des pays d’Amérique latine renforçant leurs partenariats Sud-Sud, cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis des institutions financières dominées par l’Occident, comme le FMI et la Banque mondiale. Riches en ressources et animés par un ressentiment vis-à-vis d’un Occident qui les a longtemps ignorés, ces pays sont décidés à imposer leurs propres règles.
Ce n’est pas une nouveauté. Samir Amin, économiste marxiste égyptien, affirmait déjà dans les années 1970 que le développement du Sud nécessitait une rupture avec le modèle de mondialisation imposé par l’Occident. Ces voix s’élèvent aujourd'hui pour revendiquer une nouvelle architecture géopolitique, fondée sur leurs existence et puissances. Le rapport de force semble donc se déplacer lentement, mais sûrement, vers un modèle multipolaire où les anciennes puissances risquent de perdre leur influence.
L'ascension économique n’est pas suffisante
Malgré une croissance économique soutenue, plusieurs des nations émergentes, notamment celles des BRICS, présentent des régimes autoritaires ou, à tout le moins, une concentration du pouvoir entre les mains d’un petit nombre, accompagnée de répressions systématiques. Cette contradiction entre prospérité économique et régression politique soulève des interrogations sur la véritable nature du pouvoir dans ces pays et remet en question leur modèle de développement.
Prenons l’exemple de la Chine, deuxième économie mondiale et acteur clé des BRICS. Depuis son ouverture économique en 1978, la Chine a connu une croissance phénoménale, mais cette ascension s’est accompagnée d’un renforcement du contrôle autoritaire sous le leadership de Xi Jinping. Le Parti communiste chinois (PCC) exerce un pouvoir absolu, et la répression politique reste sévère. Des événements emblématiques, tels que la répression des manifestations à Hong Kong en 2019, la gestion autoritaire de la question tibétaine ou encore la persécution des Ouïghours dans la région du Xinjiang, illustrent cette tendance. Des millions de personnes y sont enfermées dans des camps de rééducation. Par ailleurs, la Chine met en place l'un des systèmes de surveillance numérique les plus avancés au monde,
contrôlant strictement les informations et les libertés individuelles. Ce modèle de « développement autoritaire » soulève des questions sur sa durabilité dans un ordre mondial.
L’Inde, souvent citée comme la plus grande démocratie du monde, semble également traverser une phase d’intenses turbulences démocratiques. Bien que l’Inde ait connu un développement économique rapide, elle fait face à des défis importants en matière de gouvernance et de droits humains. Le gouvernement de Narendra Modi, élu en 2014, a été critiqué pour ses politiques nationalistes hindouistes, qui marginalisent les minorités, notamment les musulmans et les dalits (les castes inférieures). La répression de la dissidence,
avec l’augmentation des arrestations de journalistes, d'activistes et de militants, et la mise en place de lois de plus en plus restrictives sur la liberté d'expression, constituent des signes inquiétants pour les défenseurs des droits humains.
Le contraste entre la performance économique de l’Inde et la répression politique croissante est une tendance qui se retrouve dans de nombreux pays du Sud global. Tandis que l’Inde se positionne comme un acteur clé des BRICS et du commerce mondial, sa croissance semble se faire au détriment des libertés fondamentales et du pluralisme politique.
En Russie, depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, le pays a consolidé son rôle stratégique sur la scène internationale, notamment à travers sa politique étrangère en Syrie, son soutien aux mouvements séparatistes en Ukraine et son contrôle de l’Arctique. Cependant, à l’intérieur du pays, la liberté d’expression et les droits civils sont de plus en plus réprimés. L’opposition politique, en particulier, est systématiquement marginalisée ou persécutée. L'empoisonnement et l’emprisonnement de figures de l'opposition, comme Alexeï Navalny, ainsi que les arrestations massives de manifestants, témoignent de l’autoritarisme croissant sous le régime actuel. L’une des grandes contradictions de la Russie moderne est qu’elle combine une relative modernisation économique et technologique, en particulier dans les secteurs de l’énergie et de la défense, avec un modèle politique de plus en plus répressif et centralisé. Cette tension entre développement économique et répression politique soulève la question suivante : les gains économiques de la Russie peuvent-ils être soutenus à long terme dans un environnement hostile aux libertés démocratiques ?
Le Brésil et l’Afrique du Sud, bien qu’évoluant dans des contextes géopolitiques différents, partagent des caractéristiques similaires : un potentiel de croissance économique, mais une gouvernance politique instable et des tensions internes liées aux inégalités sociales. Le Brésil, avec son immense potentiel agricole et industriel, a connu une expansion rapide de son économie dans les années 2000. Cependant, il est aujourd'hui secoué par une crise politique profonde, marquée par des scandales de corruption et des tensions entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le gouvernement actuel de Lula da Silva, tout en cherchant à consolider l’économie, fait face à des pressions croissantes pour mener des réformes sociales, notamment en ce qui concerne la gestion de l’Amazonie et la défense des droits des peuples indigènes. L'Afrique du Sud, longtemps perçue comme le symbole de la réconciliation post-apartheid, traverse actuellement une crise de gouvernance, marquée par la corruption et des inégalités économiques flagrantes. Le pays, riche en ressources naturelles et doté d’un secteur industriel développé, peine à réaliser une véritable croissance inclusive et à résoudre les problèmes sociaux structurels hérités de l’apartheid.
Ces exemples montrent que, malgré des différences culturelles et politiques marquées, ces pays partagent un objectif commun : une révolte contre les modèles économiques et sociaux anciens. Cependant, cela soulève des questions profondes sur l’avenir de l’équilibre mondial, non seulement dans les négociations internationales (et nous observons par la complexité des negotiations autours du Mercosur), mais aussi dans la gestion des crises, la lutte contre le réchauffement climatique et la défense des droits de l’homme. Alors que, plus que jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, il semble crucial de se retrouver autour de valeurs communes, les fractures sont bien plus profondes qu’on ne l’imaginait. L’élection de Donald Trump a mis en lumière une situation en gestation depuis des décennies. Les théories de l’économiste et philosophe Karl Polanyi (La Grande Transformation, 1944) suggèrent que le développement économique ne peut être dissocié des institutions démocratiques, qui garantissent une répartition juste des bénéfices du progrès. Dans cette perspective, les BRICS, bien qu’étant des moteurs économiques importants, pourraient être condamnés à une stagnation politique et sociale si leurs gouvernements n’intègrent pas les principes de la démocratie et des droits humains dans leur modèle de développement. Cependant, cette approche semble reposer sur une vision du monde datant de 1944. En réalité, les rapports de force ont de toute évidence changé, avec des problèmes diplomatiques majeurs qui émergent. Nous assisterons sans doute dans les échanges entre l'APEC et le Mercosur, qui illustreront encore ces tensions. Dès lors, une question se pose : quel monde souhaitons-nous pour demain, et jusqu’à quelle limite serons-nous capables de nous adapter, reconnaissant que les règles du jeu ont changé et nous obligent à adopter une nouvelle posture ?
Quelle sera cette posture ?
Jusqu’à quelle limite vaut-il la peine de nager à contre-courant d’une vague mondiale de violence commerciale qui se mobilise ? Comment, de manière stratégique, pouvons-nous utiliser cette vague pour bien nous positionner et militer pour les valeurs qui nous sont chères ? Sommes-nous capables de reconnaître nos erreurs et de construire autrement ?
À chacun de réfléchir...
Auteur : Julia Agard©
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