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Les Dangers des Extrêmes pour la France

Leçons du Brésil: Entre manipulation et désillusion, comment Jair Bolsonaro a transformé la nation en quatre ans

Source : Journal Frankfurter Allgemeine Zeitungdu 17 novembre 2022 par Michaela Wiegel


La nouvelle tombe le dimanche soir comme un air de déjà-vu triste, dangereux, décevant, dirais-je, désespérant. Nos émotions sont latentes. Si, sur certaines analyses brillantes par ailleurs, certains parlent d’un vote de colère, le dit « vote anti-Macron », c’est bien le vote d'appartenance qui pose problème. Le vote de l’adhésion, de la reconnaissance de soi dans l’autre. La stratégie RN consistait à créer un personnage : souriant, jeune, charmant, discours vide, message superficiel, de rapide compréhension - une technique marketing bien connue des génies de la communication. Le principe du biais cognitif de confirmation parfaitement maîtrisé. Un jeu de maître avec la mémoire mécanique, procédurale, autobiographique, perceptive. Difficile de savoir jusqu'à quel point cela relève du génie ou de la facilité.


Ajoutons à cela l’impact du marketing viral. Il fut un temps où le bouche-à-oreille dominait - il s’agit maintenant du buzz (en anglais, littéralement, « bourdonnement d’un insecte »). Un bouche-à-oreille électronique (word of mouth, puis par jeu de mots word of mouse ou wom en anglais) dont le principe est la propagation : si une personne parle d’une information à deux personnes, deux personnes en parlent à quatre, quatre en parlent à huit et après 21 répétitions, 524 288 personnes en parlent à 1 048 576, qui en parlent à 2 097 152 personnes… et ainsi de suite. En fin de compte : ça marche.


Le terrain se prépare depuis des décennies. On ne peut pas dire que nous n’avons pas vu venir. Des scores de plus en plus marquants, des présences médiatiques motivées par des invitations, même incluses de la présidence (qui définit ses concurrents définit ses successeurs). Nous nous trouvons là dans une dichotomie perverse, dangereuse, inconséquente… Je ne pense pas être la seule orpheline depuis dimanche dernier. Bien que l’ancien père fût négligeant, cet acte de dissolution a également dissous, entre autres, l’impression que cela se tenait, un discours, une promesse à laquelle personne ne croyait plus vraiment, mais nous étions "presque" habitués à nous voiler la face à l’évidence : la société bascule vers les extrêmes, victimes ou acteurs (voire les deux) de sa perversité, de sa facilité. Difficile pour moi d’imaginer autrement. Difficile aussi de croire que ça pourra se passer mieux que ce que nous avons assisté en grand malheur comme sort au Brésil.


Le lendemain de ce 28 octobre 2018, nous nous réveillons en nous demandant « comment était-ce possible ? » Comment en sommes-nous arrivés là ? Un pays composé de la plus grande mixité au monde, mélange de descendants d'Européens, d'Africains, d'Amérindiens et d'Asiatiques, et probablement de plus. Pays composé à plus de 10 % de la population LGBTQ+ « officielle » car le pays reste tout de même un des plus « christianisés au monde », ce qui impose automatiquement une pression sur la liberté sexuelle. Pays de grand écart social, jeune de ces 500 ans, qui peine à construire son économie et encore plus à la stabiliser en raison d'une corruption omniprésente, pressante, systémique, manifeste à tous les niveaux de la société. C’était ce pays-là qui élisait un candidat d'extrême droite : Jair Bolsonaro.


Le pays sombrait dans un contexte de forte insécurité, de discréditation politique due à un des plus grands scandales de corruption que l’histoire de la politique de l’Amérique du Sud ait vécu, destitution du pouvoir présidentiel, pauvreté. Un mix dangereux pour n’importe quelle nation. Dissolution suivie de mandats de prison inédits dans les plus hautes sphères du pouvoir, tentative d’assassinat, poursuites controversées. Devant tout ce contexte médiocre, pas à la hauteur de ce que ce pays est capable d’offrir, une campagne au moins violente, élitiste, dans une nostalgie des régimes militaires, alimentée par la manie humaine du « c’était mieux avant ». C’est drôle, ça fait 2.000 ans que ça dure… Et pourtant, nous n'avons toujours pas compris, je crois. Il me faudrait un livre entier pour parler de Bolsonaro et de la détresse que son quinquennat a causée au pays.


D’ailleurs, pour se documenter à ce sujet, il vaut mieux chercher dans la presse internationale - dans les journaux brésiliens, vous risquez de trouver peu de choses crédibles. La presse n’avait plus aucun pouvoir. Soumise à un trouble général entre ambiguïté et crainte, certains ne communiquant pas, d’autres communiquant mal. Des provocations polémiques vouées à détourner l’attention des scandales impliquant les membres de la famille du président, de ses collaborateurs. Corruption, assassinats commandités, détournement de budget public. Un drame. Mais qui en parlait ? Malheur à ceux qui osaient soupçonner une affaire, d’autant plus si ce journaliste était une femme.


Des fake news sans limite, des commentaires et messages rapides sur les réseaux sociaux, souvent violents, incultes, relayés en chaîne. Pour Bolsonaro et ses électeurs, Twitter (actuel « X ») était une réelle arme et outil politique. Il se disait « communiquer avec le peuple par ce biais” - qu’ils sentaient en accès direct avec le président. C'était de toute évidence une nouvelle façon de faire de la politique. Une dégénérescence de la violence dans la société commune, le Brésil se partageait entre deux pôles : ceux qui aiment Bolsonaro « le fils de Dieu » et les autres. Alors que ses défenseurs étaient des judéo-chrétiens admirables, bien élevés, cultivés, parrains de la morale dans la société, de la bonne conduite, les autres étaient des « pédés incubés », des « putes », des femmes vénales, des « sorcières », ceux qui crèveraient dans une société qui convertit les enfants à l’homosexualité. Le moindre commentaire contraire à ce président était motif de conflit arrosé par des crimes et de la violence verbale arrivant jusqu'à l’agression physique. Je ne reconnaissais pas ce Brésil. Je ne reconnaissais plus ce Brésil. Que s'était-il passé ? Quel épisode ai-je raté pour ne pas comprendre ce qui se passait là-bas ?


Ce furent quatre ans de souffrance pour les pauvres, pour qui il ne restait comme seule option que de devenir encore plus pauvres, plus vulnérables, plus ignorés dans un système écrasant, socialement violent. Un programme économique mélangeant ultra-libéralisme, néolibéralisme, privation de dépenses et réduction des obligations de l’État résultait bien évidemment en l’abandon d’un système primordial pour la survie de grande partie des Brésiliens. Le SUS (Système de Santé Unique) qui copie en quelque sorte le système social français, mis en place et investi par le gouvernement Lula, était abandonné, tout comme ses dépendants. Le maillage exécutif, législatif et judiciaire, opposés au fédéral (qui jusqu'à ce point était vu comme une référence), révélait l'inefficacité et l’inaction pour le peuple, grand tributaire de l’absurdité, des troubles budgétaires, des détournements flagrants. Une dite «réforme de la retraite » incompréhensible pour les pauvres qui, en effet, ont vu quelques 25€ de plus sur leur compte, dans une fluctuation exorbitante du pouvoir d’achat sur les produits de première nécessité. Des réductions des frais liés à la privatisation de grande partie du pays en effet. Une crise sanitaire arrosée par une série de "Squid Game" méchante - j’ai perdu 4 personnes en 20 jours. Le Brésil fut un des pays les plus gravement touchés par "La Covid" (cette méchante), alors que le Président alimentait le peuple avec toute sorte de propagande qui a touché la vie de millions, et coûté la vie de quelques milliers. Les forêts amazoniennes n'ont jamais été si rasées dans l’histoire du Brésil, les agressions contre les femmes et les enfants, une violence verbale minimisée dans l’interprétation de la société. La culture n’a jamais autant souffert.


Coups budgétaires historiques, cinéma, musique, presse… Tout le monde souffrait «séparément ». Qui arrivait encore à se rassembler et être d’accord ? Une sorte d' «Aquarius» mais en réel - le happening politique total. L'élite intellectuelle du pays essayait de crier aux oreilles de sourds - car la même élite était accusée de cotiser l’homosexualité et tous ces discours catastrophiques que nous avons bien compris que l’extrême droite, de Le Pen à Marion Maréchal, en passant par Zemmour, est capable d’exprimer. Le ministère de la Culture, vu comme « une dépense frivole » par le président, a perdu non seulement son budget, mais aussi son pouvoir et son écoute. D’ailleurs, ses projets ont été relégués gracieusement au Ministère de la Citoyenneté. Voyons ! Une évidence n’est-ce pas ?!


C’est de l’obscurantisme, de l'hérésie, du fourvoiement. Qui veut d’un monde sans art ? Sans beauté ? Je ne sais pas…



Leçons pour la France


L'expérience brésilienne sous la présidence de Jair Bolsonaro devrait servir d'avertissement sérieux pour la France. L'ascension de l'extrême droite, alimentée par des stratégies de communication habiles et des campagnes de désinformation virales, peut transformer radicalement un pays en quelques années seulement. Les impacts sont profonds et variés, touchant la politique, la société, l'économie et la culture.


La France, elle aussi, doit être vigilante face aux manipulations médiatiques et à la propagation rapide de messages populistes simplistes mais efficaces. Tout ça, dans un monde que change, dans un contexte géopolitique de gravité majeur, ou toutes les menaces sont au goût du jour. Le vote de l'adhésion à des idéologies extrêmes, souvent présenté comme une réponse à des frustrations légitimes, peut conduire à des conséquences désastreuses, comme cela a été le cas au Brésil. Le pouvoir doit rester conscient de l’importance de la diversité, de la liberté de la presse, de la protection des minorités et de la promotion de la culture pour éviter de tomber dans les mêmes pièges qui ont entraîné la désillusion et la souffrance au Brésil.


En fin de compte, la France doit apprendre des erreurs du Brésil, mais aussi des pays européens comme l’Hongrie et se rappeler que les extrêmes, quelle que soit leur forme, peuvent rapidement éroder les fondements mêmes d’une société libre et équitable.


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