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Tourisme spatial

Dernière mise à jour : 7 août 2021


Que les élites dansent sur un volcan, nous le savons déjà. Mais le tourisme spatial écrase la classe majoritaire des terriens.


Branson réalise son rêve de toucher l’espace avec ses doigts. Dès son retour, c’est Jeff Bezos, le fondateur de Blue Origin et président d’Amazon que s’envole.

En septembre 2018, le milliardaire japonais Yusaku Maezawa a acheté à Elon Musk un voyage autour de la lune prévu pour 2023. Dans une période où le sujet des écarts de salaires est de plus en plus important au niveau mondial, ces milliardaires s’offrent des plaisirs de quelques minutes pour une moyenne de 28 millions de $. C’est le montant pour s’envoler dans Blue Origin par exemple, ou des vols plus low cost très accessibles de 50.000$ comme est le cas de Virgin Galactic. Pour ce qui concerne Space X, le montant arrive aux alentours de 100 millions de dollars. À un tel tarif, pour réaliser le rêve d’Icare il faut faire partie des 1% qui contrôlent la richesse des 99% de la planète.




Au-delà de l'obscénité d'une opération visant à satisfaire le rêve d'un seul individu, ces excursions ancrent l'idée que l'espace est une marchandise. De même que l’univers est soumis à un pouvoir d’achat. Elles consomment aussi matière et énergie et ont des conséquences environnementales qui augmenteraient considérablement si ce tourisme spatial devenait une pratique courante, comme en est l’objectif.


Un article proposé par The Conversation en 2020, proposait des calculs sur l’impact écologique de ce potentiel marché. Voici les résultats :


Pour 6 000 euros, vous pouvez déjà vous offrir un vol dans un avion enchaînant une succession de paraboles, vous permettant de ressentir la pesanteur réduite de Mars ou de la Lune, et surtout de flotter douze fois en apesanteur pendant une vingtaine de secondes. C’est ainsi que la société Novespace a embarqué 1 856 passagers sur 217 vols durant chacun environ deux heures et demie, soit la durée (et la pollution) d’un vol Paris-Varsovie. Dans la mesure où le nombre de passagers a été limité, la pollution totale de ce manège de luxe est restée modeste au regard des 915 millions de tonnes de CO₂ émise en 2019 par les 4,5 milliards de passagers de l’ensemble des vols commerciaux (plus de 100 000 par jour en moyenne).


Afin de montrer la courbure de la Terre en vol « suborbital », la compagnie Virgin Galactic, appartenant au milliardaire Richard Branson, a annoncé en juillet 2020 avoir déjà vendu 600 tickets pour son SpaceShipTwo, et la société est en train de construire deux autres vaisseaux similaires. Cela signifie potentiellement des centaines de vols réguliers, puisque 9 000 clients ont déjà manifesté leur intérêt. La société Blue Origin du milliardaire Jeff Bezos est aussi sur les rangs avec sa fusée réutilisable New Shepard, elle aussi conçue pour lancer une capsule emportant six touristes spatiaux sur une trajectoire suborbitale culminants à environ 100 kilomètres.


D’après le rapport d’évaluation environnemental du SpaceShip Two, on peut estimer que l’émission de CO2 d’un vol complet est de l’ordre de 27,2 tonnes. À raison de 6 passagers par vol, cela fait 4,5 tonnes de CO2 par passager. Cela équivaut à faire le tour de la Terre, seul dans une voiture moyenne.


Pour quelques minutes d’apesanteur, cela représente plus de deux fois l’émission individuelle annuelle (« budget CO2 ») proposée par le GIEC, dans le but de respecter l’objectif des + 2 °C de l’Accord de Paris. Autrement dit, chaque passager piétinera allègrement cet objectif et s’arrogera le droit d’émettre à la place des autres humains. Normal ! Le pouvoir d’achat peut tout acheter ! (ironie).


La propulsion hybride du SpaceShipTwo ne produit pas que du CO2. Le vaisseau crache aussi des suies, résultant de la combustion incomplète d’un mélange de protoxyde d’azote (N2O) liquide et d’un dérivé solide du polybutadiène hydroxytéléchélique.


Un article scientifique de 2010 a estimé que 1 000 vols suborbitaux par an produiraient de l’ordre de 600 tonnes de suies, qui, en restant à peu près dix ans en suspension dans la stratosphère, entre 30 et 50 kilomètres d’altitude, contribueraient à modifier le climat à l’échelle de la planète entière – même si tous les tirs partaient d’un même endroit. Par comparaison, l’aviation civile paraîtrait presque propre : elle émet plus de suies au total, 7 200 tonnes par an, mais à des altitudes de l’ordre de 10 kilomètres, ce qui réduit leur durée de suspension et permet leur lessivage par les pluies.


Les 119 tonnes de kérosène raffiné utilisé par le premier étage de la fusée Falcon 9 produisent, lors de leur combustion contrôlée, une énergie comparable à celle dégagée par la récente explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et ses environs : l’équivalent de 1 220 tonnes de TNT.


D’après le rapport d’évaluation environnementale de la Falcon 9, le vol complet, avec récupération de la capsule habitée grâce à des navires spécialisés et un hélicoptère, émettra 1 150 tonnes de CO2, l’équivalent de 638 ans d’émission d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an. Bien plus qu’un chassé-croisé de vacanciers sur l’autoroute ! À raison de quatre passagers par vol, cela fait près de 290 tonnes de CO2 par passager. Autrement dit, un touriste en orbite vaut 65 touristes suborbitaux et presque 160 années d’émission d’une automobile.


Attention, les chiffres peuvent être encore plus choquants :


Un vol autour de la Lune comme celui que projette Maezawa à bord duquel s’effectuera le voyage, est le second étage de la fusée Super Heavy, le lanceur orbital super-lourd et réutilisable développé par SpaceX. Le dernier rapport environnemental de ce lanceur indique que l’ensemble Starship/Super Heavy produit la bagatelle de 3 750 tonnes de CO2 à chaque vol. Rappelons que la moyenne est de 2 tonnes par personne, et par an. Le projet DearMoon prévoyant d’embarquer de 6 à 8 personnes, cela conduit à des émissions individuelles comprises entre 470 et 625 tonnes de CO2. Chacun grille ainsi, en un voyage de quelques jours, le « budget CO2 » annuel de plusieurs centaines de personnes. Mais cela reste inférieur aux 1 630 tonnes de CO2 émises annuellement par Bill Gates pour ses déplacements en jet privé. Eh oui, les jets privés… Grand marché qui se développe davantage en conséquence des montées de violences, risques sanitaires et déséquilibres sociaux.


Nous vous épargnons, sans doute à tort, le coût en CO2 de la construction des pas de tir. C’est du béton, et aussi beaucoup d’emprise en termes de surface occupée. Si à Roissy, l’aéroport occupe environ le tiers de la superficie de Paris intra-muros (32 km2), il le fait pour plus de 470 000 mouvements d’avions par an et près de 70 millions de passagers. Par comparaison, les vols suborbitaux prévus par Virgin Galactic doivent partir du Spaceport America au Nouveau-Mexique, dont la superficie de 73 km2 ne servira tout au plus qu’à 1 000 vols par an.


Nous vous épargnons aussi les conséquences environnementales de l’extraction, du transport et de la transformation des matériaux de haute qualité, l’acier ou l’aluminium par exemple, nécessaires pour fabriquer la masse totale des fusées, et dont l’ensemble ne sera pas totalement récupéré.


Le calcul est aussi simple qu’injuste : les 1 % les plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions que la moitié la plus pauvre de l’humanité.

Après leurs yachts privés et leurs avions d’affaires, les lubies spatiales, les surconsommations de toute sorte et, pire encore, pour l’influence négative qu’il porte sur la société en général. Si des économies à grande échelle, dues aux améliorations techniques, rendaient le tourisme spatial accessible, ne serait-ce qu’aux classes supérieures, ces inégalités seraient encore amplifiées, ajoutant aux dégradations provoquées par nos sociétés en général et par le tourisme de masse en particulier.



*Cet article a initialement été publié dans le cadre du cinquième anniversaire de The Conversation France, le 24 septembre 2020. Auteurs de l’article de base : Roland Lehoycq, Emmanuelle Rio, François Graner.


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