Trump déstabilise l'ordre mondial : quelle stratégie pour l'Europe face à l'escalade géopolitique ?
- Julia Agard
- 7 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.
Face à une offensive commerciale et diplomatique coordonnée par Donald Trump, les fondements du multilatéralisme vacillent.
L'Union européenne peut-elle faire front ?

Un séisme planifié

Le 3 avril 2025, Wall Street a connu un nouveau lundi noir. Le S&P 500 a dévissé de 4,8 %, enregistrant sa pire chute depuis la crise du COVID-19 en 2020.
La brutalité des annonces de Donald Trump a stupéfié les observateurs. Apple, fleuron de la tech américaine, a perdu près de 9 % en une seule journée, déclenchant une onde de choc sur les marchés asiatiques et européens. L’Asie — colonne vertébrale des chaînes de production mondiales — a été particulièrement visée : le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande, le Bangladesh et le Sri Lanka figurent au cœur de ces nouvelles sanctions.
Ce qui pourrait, à première vue, être interprété comme une simple erreur de pilotage relève en réalité d’un choix stratégique pleinement assumé. Un choix froid, cynique, et lourd de conséquences. Un choix qui engage l’avenir, menace les équilibres, et appelle une réponse claire, ferme et collective.
L’administration Trump cherche à redessiner les rapports de force en sa faveur, au mépris des équilibres mondiaux. L’économie n’est plus un domaine autonome : elle devient un instrument de puissance, mis au service d’un affrontement systémique.
Derrière la taxe, la stratégie
La carte des sanctions tarifaires dessine une géopolitique nouvelle. Tandis que les alliés traditionnels des États-Unis – Canada, Allemagne, Japon, Corée du Sud – subissent de plein fouet ces hausses douanières, la Russie demeure étonnamment épargnée. Moscou, pourtant toujours engagée dans une logique impérialiste, renforce ses positions en mer Noire et aligne ses intérêts avec ceux de l’Iran, de la Syrie ou de la Biélorussie.
Le Moyen-Orient n’est pas épargné. Les frappes américaines contre des positions iraniennes s’ajoutent à la reprise des hostilités au Liban-Sud, où le Hezbollah, soutenu par Téhéran, est de nouveau pris pour cible. Ce regain de tensions remet en cause les efforts diplomatiques engagés depuis la fin de 2024.
Ces événements ne relèvent pas du hasard : ils participent d’une recomposition mondiale, dans laquelle l’idéologie nationaliste prime sur le dialogue multilatéral. Trump, loin d’être une figure isolée, s’inscrit dans une logique de puissance brutale partagée avec d’autres leaders comme Vladimir Poutine et Xi Jinping. Le premier table sur la déstabilisation régionale et l’arme énergétique ; le second déploie une influence globale discrète mais structurée. Leur point commun : le rejet de l’ordre international issu de l’après-guerre, fondé sur la coopération et le droit.
Un moment de bascule
Les signaux d’un choc systémique se multiplient. L’économie mondiale évolue sur une crête incertaine : inflation, tensions énergétiques, fragmentations numériques, relance hésitante. Après les années 1920 et 2020, une nouvelle décennie d’instabilité se profile.
La tentation du repli, du nationalisme et du conflit renaît. Trump en est à la fois l’accélérateur et le révélateur. Sa stratégie est limpide : exploiter la crise pour consolider la position des États-Unis dans un monde gouverné par des rapports de force aux conséquences vertigineuses. Les livres d’histoire nous rappellent avec clarté les lourdes conséquences des guerres commerciales.
L’Europe sommée de réagir
L’Union européenne ne peut se permettre la passivité. Avec 449 millions d’habitants et 427 milliards d’euros d’importations depuis les États-Unis (source : Eurostat, 2024), elle dispose d’un levier réel. Ce levier doit être mobilisé, rapidement et collectivement.
Des mesures de réciprocité commerciale, un soutien accru à l’autonomie stratégique, et une relance industrielle ciblée dans les secteurs sensibles — notamment les technologies, l’armement, la cybersécurité et la souveraineté énergétique — doivent devenir des priorités absolues. Le boycott ciblé constitue également un levier d’action efficace.
L’Europe doit parler d’une seule voix. Cela implique de renforcer l’autorité de la Commission, de soutenir ses institutions, et de résister aux tentations nationalistes à court terme. Donner la parole à la Présidence de la Commission européenne est un acte de respect envers nos institutions et un gage de fidélité à nos valeurs. Sur le plan stratégique, cela permet aussi de prendre de la distance par rapport à un affrontement individualisé avec certains pays.
L’Europe reste largement tributaire de l’OTAN — et donc de Washington — pour sa sécurité. Une dépendance qui devient désormais un levier de chantage. Une réponse s’impose : la construction d’une Europe de la Défense. Non plus comme un horizon lointain, mais comme une nécessité vitale — seule à même de rendre à l’Union son autonomie stratégique, sa stature de puissance politique, en complément de son poids économique.
Cela dit, l’urgence commande aussi des actions immédiates. Il ne faut pas ignorer que cette transition prendra du temps — mais ce temps doit être mis à profit dès maintenant. Il faut alerter les citoyens sur la complexité des menaces, leur fournir des éléments concrets de protection, et armer le pays en conséquence. La Suède a déjà engagé cette dynamique depuis 2024, sous la pression directe de la menace russe. L’exemple est là, clair et lucide.
Il ne s’agit pas de céder à l’alarmisme, mais de faire preuve de lucidité. Cela exige une communication transparente à l’égard des citoyens, une mobilisation industrielle cohérente, des plans de résilience civile ambitieux, et une véritable politique d’investissement à l’échelle européenne.
Retrouver une colonne vertébrale stratégique
L'ordre mondial bascule officiellement. Le temps n’est plus à l’indignation. Trump n’est pas un accident. Il est le produit d’une mutation politique profonde aux États-Unis et dans le monde. L’Europe doit assumer cette réalité. Seule une puissance politique cohérente peut préserver sa souveraineté dans ce nouvel environnement.
Face à l’instabilité, la force reste un facteur structurant. Le multilatéralisme ne survivra que s’il s’appuie sur des États capables d’en garantir les fondements. L’Europe ne peut plus se contenter d’exister par la norme. Elle doit redevenir une puissance d’action, capable d’anticiper, de protéger et de peser.
C’est à ce prix qu’elle préservera non seulement son autonomie, mais aussi la possibilité d’influencer l’avenir de l’ordre international.
Auteur : Julia Agard©
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